Œuvres de Saint François De Sales

 

TOME XXI. LETTRES – VOLUME XI

 

 

 

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Cinquième édition pour la concordance: seulement les écrits de saint François de Sales

 

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Index OCR. 2

Lettres de Saint François de Sales. Lettres sans date. 11

MCMLXV. A la Sœur Fichet, Religieuse de la Visitation d'Annecy. Etrennes et souhaits pour la nouvelle année. 11

MCMLXVI. A la Mère de Chantal (Fragment). Une résolution des deux Saints. — En quoi consiste la gloire du divin amour. — Souhait. 11

MCMLXVII. A Madame de Charmoisy (Fragment). Les grandeurs que désire le saint Evêque de Genève. 11

MCMLXVIII. A M. Clériadus de Genève-Lullin (Fragment). Influence de la sainteté des grands. 12

MCMLXIX. Au Père Claude-Louis-Nicolas de Quoex, prieur du Monastère de Talloires (Fragment inédit). Que faire en attendant la joie d'un revoir ? — Ardeur et pureté de l'amour de François de Sales pour Dieu. 12

MCMLXX. A M. René Gros de Saint-Joyre (Fragment). Encouragement à favoriser la fondation d'une Maison religieuse. 12

MCMLXXI. A un gentilhomme de Dijon. Une « favorable inspiration. » — Comment s'éprouver soi-même sur sa vocation. — Avis pour le lever et la nourriture. — Demander la lumière à Dieu. — A quels passetemps s'adonner. — La Communion hebdomadaire et les pieux pèlerinages. 13

MCMLXXII. A un ami. Condoléances et sympathies. 15

MCMLXXIII. A un étudiant. Que nous apprend la vraie science de Dieu. — Consolations sur un décès. 15

MCMLXXIV. A un gentilhomme. La mélancolie et le retour de la santé. — Un étrange tourment. — Pourquoi le Saint compatit à ceux qui en sont affligés. — De quelle crainte faut-il craindre les fins dernières ? — Défiance et présomption dans le service de Dieu. — Il n'est pas besoin de sentir toujours de la force et du courage. — L'espérance et la prière nous assurent le secours de Dieu. — Des essais trompeurs. 16

MCMLXXV. A un inconnu (Fragment). La variété des exercices et l'amour. — Pourquoi le Sauveur fut, dans tous les mystères de sa vie, « le Bienaymé de son Pere. » — Comment rendre parfaites nos actions les plus ordinaires. 18

MCMLXXVI. A une dame. Une liberté que le saint Evêque n'a pas. — Désir de son humilité et de son amour de Dieu. — Le sceau du Roi sur nos affections. — Echange de prières. 18

MCMLXXVII. A la même. La posture de l'âme pendant les exercices extérieurs et intérieurs. — Liberté d'allure à l'oraison. — Confiance mutuelle. — Un conseil difficile à donner. 19

MCMLXXVIII. A la même. Douceur et tranquillité. — Quel regard jeter sur le monde. — Adorer la volonté de Dieu en tout temps. 20

MCMLXXIX. A une dame. Les vertus fortes et les meilleurs vins. — Ce qui rend les tribulations précieuses. 20

MCMLXXX. A une dame. Demander à Dieu la douceur d'esprit dès le matin, et s'en souvenir cent fois le jour. — Se relever après ses fautes, sans perdre courage. 21

MCMLXXXI. A une dame. L'ombre nécessaire pour conserver les fruits des résolutions. 21

MCMLXXXII. A une dame. Le but divin des afflictions. — Recevoir avec amour ce que Notre-Seigneur nous envoie par amour. — Assurance de prières. 22

MCMLXXXIII. A une dame. Le secours de Dieu ne manque jamais aux âmes confiantes. — Porte royale du temple de la sainteté. — Comment regarder ses afflictions. — Croix d'or ornée de pierres précieuses. 22

MCMLXXXIV. A une dame. Permission accordée de renouveler un vœu. 23

MCMLXXXV. A une demoiselle. Quand les « empressemens d'amour » en l'oraison sont bons. — La différence entre les « abnegations mentales » et les réelles. — N'ouvrir la bouche que de par Dieu. — Une superfluité à retrancher. 24

MCMLXXXVI. A une demoiselle (Fragment). Les amitiés les plus solides. — Béatitude du désert. 25

MCMLXXXVII. A une demoiselle. Mauvaise vengeance que celle d'un procès. — Le vrai courage consiste à mépriser le mépris. — Manœuvre de la Providence pour ramener au port et préserver du naufrage. 25

MCMLXXXVIII. A la même. Aversion du Saint pour les procès, surtout pour ceux qui se font à la suite de « manquements de promesses. » — Le meilleur remède contre les gens qui rompent la foi donnée. — Comment obtenir une constante tranquillité de cœur. 26

MCMLXXXIX. A une inconnue. Pourquoi Notre-Seigneur permet les petites disettes spirituelles. — Un prédicateur dont il fait bon ouïr les paroles. — Le cœur et la volonté au temps de la sécheresse. 27

MCMXC. A une inconnue. On connaît la fidélité dans les occasions. — Ce qui donnera « les rangs » parmi les enfants de Dieu. — Ne pas s'attrister des répugnances, mais les surmonter. — La vraie force du cœur. 27

MCMXCI. A une dame. L'arbre planté en ce monde, et le Cultivateur céleste. — Suivre la volonté de Dieu et marcher dans ses voies. — Un mort auquel on porte plus d'envie que de compassion. 28

MCMXCII. A une dame. L'unique et parfait Consolateur. — En quel temps il fait bon mourir. — Pleurer sur la perte des nôtres, mais non désordonnément. — Faire de bonne heure nos adieux à ce monde. 28

MCMXCIII. A la même. Consolations sur la mort subite de la sœur de la destinataire. — Après une secousse de notre cœur, recourir à Notre-Seigneur, et loger nos espérances en lui. — Une confidence de Saint. — La planche pour passer à l'éternité. 29

MCMXCIV. A une demoiselle. Imperfection du désir de la mort. — Espérance sur une trépassée. — La parole de saint François d'Assise. 30

MCMXCV. A une dame. Condoléances et consolations. — Pour qui toute mort est-elle heureuse ? — Vivre avec des pensées généreuses et magnifiques. — Etre doux et paisible ce n'est pas être insensible. 30

MCMXCVI. A une dame. Le Jourdain et la Terre promise. — Comment la bonté de Dieu disposa une âme à son passage à l'éternité. — La couronne d'épines gage de la couronne de roses. — Admirable et touchante tendresse du Saint. — Pourquoi ne peut-il « vouloir mal a la mort. ». 31

MCMXCVII. A une demoiselle. La valeur de la vie ; bonheur de la destinataire de connaître à quoi Dieu veut qu'elle l'emploie. — Persévérer dans sa voie, tout en appréciant les autres. 32

MCMXCVIII. A une demoiselle. Quel avis François de Sales eût donné à sa correspondante s'il avait trouvé son esprit dans l'indifférence. — Les raisons contre le mariage doivent céder devant une forte inclination. — Délicats et francs conseils sur les vertus à pratiquer pour couvrir « la tare du cors. » — Le miel tiré du thym. 33

MCMXCIX. A la même. Heureux vent qui mène au port. — Sous quelle condition nous donner à Dieu. — Un sentiment qu'il faut faire croître jusqu'à maturité. — Les merveilles des noces de Cana. 34

MM. A une demoiselle. En quel temps se donner à Dieu. — Rapidité des années ; leur prix infini. — La prière d'un Saint pour sa fille spirituelle. 35

MMI. A une inconnue. La considération de Jésus crucifié pour l'âme chrétienne. — Combien fades les niaiseries des amours profanes. — La guerre et la paix. — En quoi consiste la vraie paix. — Pourquoi le Fils de Dieu a voulu naître en ce monde. 36

MMII. A une dame. Réciprocité d'affection. — « Un cœur de père qui tient un peu du cœur de mère. » — En quelle école se perfectionnent nos âmes. — Rosiers spirituels. 36

MMIII. A une cousine. Le courage vaut mieux que la consolation. — Exemple de Rébecca. — Vocation divine et guide céleste. 38

MMIV. A une novice de la Visitation. Reconnaissance envers Dieu pour le bienfait de la vocation religieuse. — Une affection puisée au Calvaire par la Sainte Vierge, et par elle répandue dans le cœur de ses vraies filles  38

MMV. A une Religieuse de la Visitation. Exposé dogmatique sur le mystère de la Sainte Trinité. — Exemple tiré de l'âme humaine. — L'Incarnation : suite de la précédente comparaison. — Universalité de la présence divine. — Notre-Seigneur sur la route d'Egypte. — Les deux natures du Christ. — Le fer enflammé. — Un peu de jour sur un abîme   39

MMVI. A une religieuse. Quel sujet de lettres entre le saint Directeur et sa fille spirituelle. — D'où viennent les larmes de dévotion et la sécheresse. — Le bouquet à odorer le long du jour. — Ne pas souhaiter les persécutions, mais exercer sa fidélité dans les occasions présentes. 41

MMVII. A une Religieuse. Dieu, bon à tous. — Nos souffrances comparées à celles de Notre-Seigneur. — Mourir pour que Jésus vive. — Courage et sainte joie. — Regard sur l'éternité. 41

MMVIII. A une Religieuse (Fragment). Suivre les attraits de Dieu dans l'oraison. — Quelle est la plus fructueuse   42

MMIX. A une religieuse. Les communications spirituelles plus aisées de vive voix que par écrit. — Pourquoi nos inclinations naturelles sont précieuses. — Dresser ses batteries du côté où l'ennemi nous attaque. — Comment vivre devant Dieu, avec le prochain et avec nous-même. 43

MMX. A une Religieuse de l'abbaye de Sainte-Catherine. Les aulx et les oignons du monde, et la délicieuse manne de notre Sauveur. — A quelles conditions François de Sales approuve « le peu parler. » — L'exercice de l'abnégation spirituelle. — Contemplation du mystère de la Présentation de Jésus au Temple. — Mettre le Sauveur « sur son throsne d'ivoyre ». — Une obédience imposée au saint Évêque. 43

Lettres découvertes après l'impression des volumes précédents. 45

MMXI. A un cousin (inédite). François de Sales se rappelle au souvenir de son cousin sans se reconnaître d'autre titre à ce bonheur que son affection. 45

MMXII. A Monsieur Claude Marin, procureur fiscal en Chablais (Fragment). Audience et promesses du duc de Savoie. 46

MMXIII. Au Chanoine Jacques de Médio (Inédite). Une station d'Avent et de Carême à Lyon que le Saint ne peut accepter. — Bulles attendues. — Difficulté pour faire parvenir à Paris deux mille écus ; prière au destinataire de s'employer à cette affaire. 46

MMXIV. A l'Empereur d'Allemagne, Rodolphe II (Inédite). Accusé de réception d'une lettre de l'Empereur. — l'Eglise de Genève dépouillée de toutes ses ressources par les hérétiques. — Un vœu de son Prince-Evêque. 47

(CLXVIII). Aux Religieuses du Monastère des Filles-Dieu (Minute). L'amour pour leur Ordre ne doit pas empêcher les Religieux de reconnaître les défauts qui s'y trouvent. — Dieu n'abandonnera pas ses servantes, si elles observent la pauvreté qu'elles ont vouée. — Le centuple promis. — Une bonne méthode, mais qui n'est pas celle de François de Sales. — Remonter à la source pour revenir à la ferveur primitive. — L'ennemi doit être combattu pendant qu'il est petit. — Isaac et Ismael. — Sans la pauvreté, pas de vrai Religieux. — C'est « un grand mal » d'entretenir des imperfections dans une Maison religieuse. 48

MMXV. A M. Amédée de Chevron-Villette (Billet inédit). Invitation à se rendre à Sales pour l'arrangement d'une affaire. 53

MMXVI. A Dom Nicolas Maistre, Vicaire de la Chartreuse de Melan (Inédite). Intercession en faveur d'une postulante Chartreuse. 53

MMXVII. A M. Simon Ruptier, Cure de Cranves (Fragment inédit). 54

MMXVIII. Au Président Antoine Favre. Douce menace d'affection. — Pourquoi le Président devra faire tout l'hiver une « rigoureuse residence ». — Mme de Boisy, malade. 55

MMXIX. A M. Pierre de Musy (Inédite). Compassion pour un vassal malheureux. 56

MMXX. A un inconnu (Fragment inédit). 56

MMXXI. A un gentilhomme (Inédite). Un chanoine compte sur l'intervention du Saint auprès du destinataire. 57

MMXXII. A la Baronne de Chantal (Inédite). Le cours d'une année et l'eau sur la grève. — Humilité et confiance. — Le « petit Agnelet d'innocence » secouant sa toison sur les cœurs largement ouverts du côté du Ciel. — Raisons du silence de tout un mois. — Les vœux d'un Saint. 57

MMXXIII. A Madame du Chatelard (Fragment inédit). 59

MMXXIV. A un ecclésiastique (Inédite). Une affaire pressante. — Impossibilité pour le saint Évêque d'aller la traiter en personne. 59

(DXL, DCCCXXXVIII). A la Baronne de Chantal. Un mal qui ne se guérit que par l'expérience. — Attendre après Pâques pour le voyage en Savoie. — Ce que dira le cœur de la Baronne, ce que celui du Saint attend. — Tranquillité, fruit de contradictions. — Nouvelles de l'âme de François de Sales. — Dégagement du monde, attachement à Dieu. — L'oraison de Mme de Chantal. — Une âme qui reverdit après un long hiver. — Saints projets pour la Visitation et l'abbaye de Sainte-Catherine. — L'Introduction à la Vie dévote et le Traitté de l'Amour de Dieu. — « Plusieurs sortes de nouvelles. » — Se mettre en la présence de Dieu et s'y tenir sont deux choses différentes. — La comparaison de la statue. — Messages affectueux. 60

MMXXV. A un cardinal (Minute inédite). Mérite singulier et pauvreté extrême du Chapitre de Saint-Pierre de Genève. — Instante prière au destinataire de favoriser auprès du Pape l'union de deux bénéfices à la mense capitulaire. 63

MMXXVI. A la Mère de Chantal (Fragment). Deux sujets de sermons. 65

MMXXVII. A Madame Béatrix de Maillard, prieure de Neuville (Inédite). Deux lettres pour soutenir les droits de la destinataire. — Une âme « bonne et vrayement chrestienne ». — Progrès spirituels de l'ancienne Abbesse de Sainte-Catherine ; la consolation qu'elle désirait. — Regret de ne pouvoir écrire à Mme de la Verjonnière. — Veiller sur son cœur au milieu de l'embarras des affaires. 65

MMXXVIII. A la Mère de Chantal (Inédite). Affectueuse sollicitude pour une chère santé compromise   67

MMXXIX. A la Sœur Fichet, Religieuse de la Visitation d'Annecy (Fragment). Le traitement du cœur et les chaînes pour lier nos passions. 67

MMXXX. A M. Jacques de Vallon  (Inédite). Les desseins de Dieu dans la maladie. — Souhaits de santé. 68

MMXXXI. Au comte Prosper-Marc de Tournon (Inédite) .Envoi d'une lettre de M. de Charmoisy, faussement accusé. — Prière instante de faire valoir son innocence. — Les méchants doivent être tenus en crainte. 68

MMXXXII. A la Mère de Chantal. Sentiments d'humilité du saint Evêque au jour anniversaire de son sacre. — Pourquoi il ne se décourage pas. — Sa confiance en la Vierge Marie. 69

MMXXXIII. A la même (Billet inédit). Un sermon et une malade à la Visitation. 69

MMXXXIV. Au Baron Prosper de Rochefort. La douleur d'un père sur la perte de son fils, mesurée à son amour. — Heureux ceux qui échappent à ce siècle ! — Manière vraiment chrétienne de parler de la mort. — Nos amis d'ici-bas et ceux de là-haut. — Demander son secours à Notre-Seigneur crucifié. 70

MMXXXV. Au comte Prosper-Marc de Tournon (Inédite). Aventures d'un paquet de lettres. — Un voyage mystérieux ; honneurs rendus à un officier du duc de Nemours. 71

MMXXXVI. Au duc Roger de Bellegarde (Fragment). Mélange d'amour et de respect. — Motif et but de l'union de deux cœurs. 71

(MCCCXL). A la Présidente du Favre. Souhait paternel à une âme que la Bonté divine a « saysie ». — Bonheur pour elle d'être toute à Dieu. — Pourquoi elle ne doit pas s'attrister. 73

(MCCCLX). A Don Jérome Boerio, Général des Barnabites (Minute). Raisons qui demandent le retour en Savoie du P. Baranzano. 74

MMXXXVII. A la Mère de Chantal, a Paris (Fragment). Ce qui a réjoui l'âme du saint Evêque. 75

MMXXXVIII. Au prince de Piémont, Victor-Amédée (Fragment). Pourquoi l'Evêque de Genève estime nécessaire son retour dans le diocèse. 75

MMXXXIX. A la Mère de Chantal, a Paris (Fragment). Charité du Saint pour une pécheresse convertie   75

MMXL. A M. Melchior de Grilly. Recommandation en faveur des Clarisses d'Evian ; pourquoi le Saint la trouve inutile. 76

MMXLI. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Fragment inédit). Dieu fait de grandes choses en l'âme qui s'abaisse. 77

MMXLII. A la Mère de Chantal, a Paris (Fragment). Admirable indifférence de François de Sales. 77

MMXLIII. A Madame de Granieu (Inédite). Aimable plaisanterie. — Le voyage de Rome et un espoir de l'Evêque. — Rien ne nuit à ceux qui veulent aimer Dieu « sur toutes choses et en toutes choses, » pas même leurs défauts. 77

MMXLIV. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Fragment inédit). Ne pas tourmenter son cœur, ni s'attendrir sur soi-même. 79

MMXLV. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Inédite). Recommandation en faveur d'un nouveau converti, fils d'un hérétique obstiné. — Eloge de son courage dans les durs assauts qu'il a dû soutenir pour la foi. — Pourquoi le gentilhomme, réduit à la pauvreté, ne peut profiter des libéralités assignées par le Duc à la Sainte-Maison de Thonon. — Le marquis de Lullin le présentera à Son Altesse. 79

MMXLVI. A la Mère de Chantal (Fragment). Ardentes aspirations du saint Evêque. 81

MMXLVII. A une Supérieure de la Visitation (Fragment). Les grandes résolutions d'un Fondateur. 81

MMXLVIII. A Monseigneur Jean-Pierre Camus, Evêque de Belley (Fragment). Comment l'Evêque de Belley est à la fois père, frère et fils de l'Evêque de Genève. 82

MMXLIX. Au même (Fragment). Le fardeau du cinnamome et le faix des moissonneurs. — Martyrs et confesseurs tout ensemble. 83

(DCLXVII ?). Au même (Fragment). Le salaire et le bonheur de ceux qui enseignent aux autres les voies de la justice. — Une « chose royale. ». 83

MML. Au même (Fragment). Deux lois impérieuses. — Soldats déférents à l'égard de l'Eglise. — Les permissions qu'il faut leur donner. 83

MMLI. A une Religieuse de la Visitation (Fragment). Comment vivre en union avec la Sainte Vierge. 85

Menus fragments. 86

MMLII. A la Mère de Chantal 86

MMLIII. A la même. 86

MMLIV. A la même. 86

MMLV. A une personne inconnue. 86

MMLVI. A une personne inconnue. 87

MMLVII. A une dame. 87

MMLVIII. Adresse d'une lettre au Chanoine de Sales. 87

MMLIX. Adresse d'une lettre a la Mère Favre. 88

Fragments de lettres a Sainte Jeanne-Françoise de Chantal. 1604-1622. 89

MMLX. Dans le trouble et l'inquiétude, remettre tout à Dieu. — Le « coup de fouet » de sa main divine. — Retranchements à faire. 89

MMLXI. L'âme qui ne veut pas offenser Dieu ne doit pas pointiller autour de ses actions. — « Un des grans articles du prouffit spirituel. » — La lecture pieuse. 89

MMLXII. Pour quel motif surtout aimer les parents. — Les vertus « de cœur » et les vertus apparentes. — Dans les maladies spirituelles et corporelles, user des remèdes voulus par Dieu, mais s'en remettre, pour le résultat, à son bon plaisir. — Un sentiment et un ardent désir du Saint. 90

MMLXIII. Les effets de l'amour pur à l'égard du prochain expliqués par une belle comparaison. — Comment cet amour parfait se communique. — Le corail et l'amitié. 90

MMLXIV. Pourquoi la souffrance, et comment l'endurer. — Trois remèdes contre le trouble qu'apportent à l'âme les évènements de cette vie. 91

MMLXV. Respect qu'on doit porter aux prêtres. — Le Directeur veut pouvoir manier l'âme de la Baronne. — Les actes d'amour et de confiance seront le remède à tous ses maux intérieurs. — Exemple de la femme mariée, proposé à l'âme épouse de Jésus-Christ. 92

MMLXVI. Un mot de saint Augustin. — Dieu répond à tous ceux qui lui demandent conseil ; d'où vient que beaucoup n'entendent pas sa réponse ? — Le serviteur fidèle. — Comment combattre la vaine gloire. — L'obéissance amoureuse et la simplicité. 92

MMLXVII. Les vœux du Père pour lui-même et pour sa Fille spirituelle. — La mortification dans les repas. — Quel est le seul désir qui remplit le cœur de François de Sales. 93

MMLXVIII. Aimer indistinctement toutes les croix qui nous arrivent. — Quelles sont les meilleures. — Les croix « un peu mignardes ». — Ce qui donne le prix à la croix. 94

MMLXIX. L'humilité et l'amour du mépris, pierre de touche de l'avancement de l'âme. — Quelle doit être son attitude dans les outrages et les louanges. — Moyen d'attirer en soi les grâces de Dieu. — L'acceptation de notre misère nous approche de lui. 94

MMLXX. Compassion surnaturelle du Saint pour les souffrances de sa Fille. — Les holocaustes de l'ancienne Loi et l'écorchement du cœur. — Dieu nous aime : qu'importe le reste ? — Jésus-Christ a tout souffert pour s'unir à son épouse ; que doit faire celle-ci pour lui « tesmoigner ses amours reciproques » et le baiser ?. 95

MMLXXI. S'abandonner à Notre-Seigneur et dépendre de sa Providence. — Une « resolue resolution ». — En quoi consiste l'amour de Dieu. — La seule gloire à chercher. — Aspirations suggérées pour s'unir à la volonté divine. 95

MMLXXII. L'examen du cœur et ce qui doit le tenir en repos. — Un acte toujours en notre pouvoir. — Confiance en Notre-Seigneur ; quelle est la mesure de sa Providence à notre égard. — S'attacher à la fin et non aux moyens. — Manière de combattre les pensées de jalousie. — L'esprit de douceur et l'esprit de souffrance. — Il faut s' « accommoder » à sa croix. 96

MMLXXIII. « La parole de la fervente indifference ». — Leçons à apprendre de saint Paul. — Moyen d'acquérir la promptitude à faire le bien. 98

MMLXXIV. Peut-on parvenir à la perfection en pratiquant une seule vertu ? — Qu'est-ce que la vertu ? — Dans la charité, toutes les vertus sont comprises. — Diviniser les vertus naturelles. — Comment on acquiert l'habitude de la vertu. 98

MMLXXV. Les « menues occurrences » et les « fascheux evenemens ». — Ardent souhait du Saint. — Pourquoi s'humilier. — « Affections » à tirer de la Passion. — Deux sortes de martyrs. — Porter sa croix comme Notre-Seigneur. 99

MMLXXVI. La statue dans sa niche et le petit oiseau dans son nid. — Souffrir avec amour. — Une consolation et un vœu de François de Sales. 99

MMLXXVII. Ne pas vouloir sentir l'amour. — L'âme irrévocablement abandonnée à Dieu est sûre de l'avoir. — Un cœur « tout escorché » sera un « cœur compatissant ». — Indéfectible unité des deux Saints. — Prière pour leur « unique cœur ». 101

MMLXXVIII. Conduite à tenir dans les affaires affligeantes. — Chemins qui mènent au port et « bonnes estoffes pour l'avancement d'une ame ». — La consolation prépare aux grands travaux et à la croix. 101

MMLXXIX. Prix de la « resignation de soy mesme » acquise au milieu des contradictions. — Un grand bonheur  102

MMLXXX. Vouloir la croix, c'est la transformer. 102

MMLXXXI. Le « petit rien » devant la grandeur de Dieu. — Dans la tentation et la souffrance, regarder la Providence et aimer ses dispositions sur nous. 103

MMLXXXII. Imperfection de l'esprit délicat. — Aimer à se sentir pauvre et faible devant Dieu. — Comment se comporter dans les aridités et les chutes, et se « mettre en la sainte indifférence ». — Au lieu de réfléchir sur soi-même, regarder le Sauveur. — Dans quelles dispositions la Mère de Chantal doit aller à l'oraison et ce qu'elle doit y faire. 103

MMLXXXIII. La seule chose qui attire le cœur de François de Sales. — Pourquoi le dépouillement total. — Par la souffrance, l'âme parvient à une très simple et délicate union au bon plaisir de Dieu. — L'unique regard de la Mère de Chantal. 104

MMLXXXIV. Une partie de la charge d'une Supérieure. — Ce qui nous donnerait le bonheur. — La parfaite simplicité que Dieu demande de la Mère de Chantal et le plus agréable sacrifice qu'elle pourra lui faire. 105

MMLXXXV. La connaissance de la volonté divine doit être fidèlement gardée ; s'y conformer aussi bien dans les ténèbres que dans la lumière. — Manière de traiter avec le prochain et de tirer profit des contradictions. — Quel soin la Mère de Chantal doit laisser à son Directeur. — En toutes choses, l'acquiescement, l'abandon, la « simple remise » à Dieu. — Comment agir et parler. 105

MMLXXXVI. Pas de « tendreté », ni de souci du lendemain. — La volonté de la Mère de Chantal, abîmée en celle de Notre-Seigneur. — Au guide, le discernement ; à l'âme, l'aveugle abandon sous la conduite de la Providence, même dans les désolations intérieures. — Le repos en Dieu et l'obéissance. 106

MMLXXXVII. L'instrument entre les mains de Notre-Seigneur. — Rester dans l'état où Dieu nous met. — Que doit faire un « pauvre petit esprit ». — Abandon à la Providence. — Se moquer des tentations et parler à Notre-Seigneur d'autre chose. — Dans les peines intérieures qui font perdre pied, regarder notre « cher Capitaine » et employer deux sortes d'armes. — Tout le « faire » de la Mère de Chantal ; à quoi elle est obligée. 107

MMLXXXVIII. Où le cœur doit-il prendre son repos ? — Souhait d'un total dénuement. 108

MMLXXXIX. L'« amour royal » des Bienheureux. — Pourquoi le « Roy des coeurs » aima parfois les larmes  109

MMXC. Deux choses demandées à l'âme conduite par la voie de simplicité. — L'humilité exclut tout propre choix. — Comment s'acquiert l'amour. — La douceur dans le trouble et à l'égard du prochain. — Manière de faire la correction. — Ce qui est « tous-jours imperfection » et ce qui est « de grande perfection ». — Remède pour les distractions  109

MMXCI. La vraie pauvreté est celle que Notre-Seigneur et sa sainte Mère ont pratiquée. — Souhait d'un Fondateur  110

(MDCCXXIX). Danger de la science sans humilité. 110

MMXCII. Règle touchant les avis spirituels. — La plus grande assurance qu'on peut avoir en cette vie. — Comment combattre les pensées de soupçon et de méfiance. — Ne vouloir que Dieu. — Le cœur en haut. — Conduite à tenir à l'égard d'une personne qui « moleste grandement ». 111

MMXCIII. Joie qu'éprouve François de Sales à s'abandonner à la Providence. — Où tend son esprit et ce qui prédomine en son cœur. 112

MMXCIV. Se tenir dans l'indifférence, et pourquoi. — La famine à Annecy. — Confiance en Notre-Seigneur ; il prend soin de tout et il « est si proche ». 112

MMXCV. Zèle du Saint pour le service des âmes. — Ce que Dieu lui demande. — Sentiment de son impuissance. — Le « petit filet de bonne volonté » de François de Sales. — Aux prises avec la tentation, il redouble de confiance en Dieu. — Consolations et aspirations ardentes vers l'amour divin. — Une prière qu'il fait à la Sainte Vierge. 113

MMXCVI. Pensée consolante sur la mort des amis. — Apprendre dès ici-bas le cantique du saint amour. — « Une planche pour passer a la vie celeste. » — Mourir à soi-même pour vivre à Dieu. 114

MMXCVII. Deux « cheres vertus ». — En quoi consiste la vraie sainteté et quelle est la meilleure extase. — L'humilité, seul moyen pour arriver au sommet de la perfection ; quel cas Notre-Seigneur en fait. — Une sainte science. — Le trésor des âmes pures. 115

MMXCVIII. Regretter les fautes du prochain, mais avoir compassion du pécheur et de l'imparfait. — Comment nous traiter nous-même. — L'habitude des vertus. — Moyen de parvenir au repos d'esprit au milieu de toutes les vicissitudes. 115

MMXCIX. Jusqu'à la fin de notre vie, il faut toujours recommencer à s'anéantir. — Le gémissement de saint Paul. — S'humilier de ses faiblesses, mais « remonter son cœur en Dieu » par la confiance. — Une parole qu'il faut répéter souvent. — Indifférence pour l'affection des créatures ; quel amour doit nous suffire. 116

MMC. Pureté d'intention des amantes de l'Epoux céleste. 117

Appendice. 118

A. Deux notes de saint François de Sales concernant sa correspondance et ses messages. 118

B. Lettre de M Antoine des Haves a M. Claude de Charmoisy. 118

C. Une lettre de saint François de Sales d'après l’édition princeps. 119

 

 

Lettres de Saint François de Sales. Lettres sans date

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MCMLXV. A la Sœur Fichet, Religieuse de la Visitation d'Annecy. Etrennes et souhaits pour la nouvelle année.

 

Annecy, 31 décembre.

 

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            Qui a moins de propre volonté a plus de Dieu. — Qui mortifie plus ses inclinations naturelles attire plus les inspirations surnaturelles. — A qui Dieu est tout, le monde n'est rien. — La douceur et l'humilité sont les bases de la sainteté.

            O ma tres chere Fille Marie Adrienne, qui nous fera la grace de participer a l'enfance sacree de nostre tres doux, tres humble et tres obeissant Sauveur ? Oh ! quel tresor de vertus !

            Ce sont mes souhaitz pour cette annee que nous allons commencer pour l'eternité.

FRANÇS, E. de Geneve. [1]

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MCMLXVI. A la Mère de Chantal (Fragment). Une résolution des deux Saints. — En quoi consiste la gloire du divin amour. — Souhait

 

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            O Dieu, quelle benediction de rendre toutes nos affections humblement et exactement sujettes a celles du plus pur amour divin ! Ainsy l'avons nous dit, ainsy a il esté resolu, et nostre cœur a pour sa souveraine loy la plus grande gloire de l'amour de Dieu. Or, la gloire de ce saint amour consiste a brusler et consumer tout ce qui n'est pas luy mesme, pour reduire et convertir tout en luy. Il s'exalte sur nostre aneantissement, et regne sur le throsne de nostre servitude. Mon Dieu, ma tres chere Mere, que ma volonté s'est treuvee dilatee en ce sentiment ! Playse a sa divine Bonté continuer sur moy cette abondance de courage, pour son honneur et gloire, et pour la perfection et excellence de cette tres incomparable unité de cœur qu'il luy a pleu nous donner. Amen.

            VIVE JESUS ! [2]

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MCMLXVII. A Madame de Charmoisy (Fragment). Les grandeurs que désire le saint Evêque de Genève.

 

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            Mon Dieu, que me souhaites vous, ma chere Cousine, au bas de vostre lettre ? de la grandeur et prosperité, ce dites vous. Oh ! il ne faut point parler d'en avoir, et, par la grace de Dieu, je n'en attens ni n'en desire autre en ce miserable monde, que celle que le Filz de Dieu a voulu prattiquer dans la cresche de Bethlehem...

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation.

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MCMLXVIII. A M. Clériadus de Genève-Lullin (Fragment). Influence de la sainteté des grands.

 

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            Mon Frere, qu'y a il qui vous empesche d'estre saint ? et qu'est ce que vous voules que vous ne puissies pour ce [3] sujet ? Un pauvre homme peut bien, a la verité, estre saint ; mais un seigneur puissant, comme vous estes, peut non seulement l'estre, mais faire tout autant de saintz qu'il y a de tesmoins de ses actions …

 

Revu sur le texte inséré dans le IId Procès de Canonisation.

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MCMLXIX. Au Père Claude-Louis-Nicolas de Quoex, prieur du Monastère de Talloires (Fragment inédit). Que faire en attendant la joie d'un revoir ? — Ardeur et pureté de l'amour de François de Sales pour Dieu

 

Que faire en attendant la joie d'un revoir ? — Ardeur et pureté de l'amour de François de Sales pour Dieu.

 

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Tempus et locum ignoro, dilectissime Frater, quando dabit Dominus ut nos invicem possimus invisere ; sed, [4] Frater in Christo suavissime, interim et semper, et in æternum et ultra, unice amemus ac diligamus Deum. Libenter dicam charitati vestræ, quod si vel minimum suspicarer in corde meo dilectionis motum qui ad Deum non tenderet, aut alteri quam divino consecraretur amori, infidelem ac spurium hunc animi mei fœtum, omni conatu, cum ipsis visceribus evellere satagerem, nec in mente mea abhortivum illud vel uno momento patierer…

 

Revu sur le texte inséré dans le IId Procès de Canonisation.

 

 

 

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J'ignore, très aimé Frère, le temps et le lieu où le Seigneur permettra que nous puissions nous voir ; mais, très doux Frère dans [4] le Christ, en attendant, et toujours, et pour l'éternité, aimons et chérissons Dieu uniquement. Je dirai en confiance à votre charité, que si je soupçonnais qu'il y eût dans mon cœur un seul mouvement d'amour qui ne tendît pas à Dieu, ou qui fût consacré à un autre amour qu'à l'amour divin, ce sentiment infidèle et illégitime de mon cœur, je ferais tout pour l'arracher avec mes entrailles, et je ne le tolèrerais pas un seul instant…

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MCMLXX. A M. René Gros de Saint-Joyre (Fragment). Encouragement à favoriser la fondation d'une Maison religieuse.

 

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Vous le deves faire, car cette action est purement pour Dieu, et c'est pour une devote et tressainte Religion, qui fera beaucoup de fruit en vos quartiers… [5]

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MCMLXXI. A un gentilhomme de Dijon. Une « favorable inspiration. » — Comment s'éprouver soi-même sur sa vocation. — Avis pour le lever et la nourriture. — Demander la lumière à Dieu. — A quels passetemps s'adonner. — La Communion hebdomadaire et les pieux pèlerinages.

 

            Alles et benisses Nostre Seigneur de la favorable inspiration qu'il vous a donnee, pour vous retirer de ce grand et large train que ceux de vostre aage et de vostre profession ont accoustumé de suivre, et par lequel ilz arrivent ordinairement a mille sortes de vices et d'inconveniens, et de la, bien souvent, a la damnation eternelle. Au demeurant, pour rendre cette divine vocation fructueuse, et pour plus clairement apprendre l'estat que vous deves choisir, pour la plus grande satisfaction de cette Misericorde infinie qui vous semond a son parfait amour, je vous conseille de prattiquer ces exercices pour ces troys moys suivans :

            Premierement, que vous retranchies quelques satisfactions sensuelles que vous pourries autrement prendre sans offencer Dieu, et que, pour cela, vous vous levies tous-jours a six heures du matin, soit que vous ayes bien dormi ou mal dormi, pourveu que vous ne soyes pas malade, car alhors il faudroit condescendre au mal ; et pour faire quelque chose de plus les vendredis, vous vous levies a cinq heures. Ce point icy vous donnera plus de loysir de faire l'orayson et la lecture.

            Item, que vous vous accoustumies a dire tous les jours, apres ou devant l'orayson, quinze Pater noster et quinze Ave Maria les bras estendus en guise de crucifix. [6]

            Davantage, que vous renoncies aux playsirs du goust, mangeant les viandes que vous pourres avoir a table lesquelles vous seront les moins aggreables, pourveu qu'elles ne soyent pas malsaines, et laissant celles ausquelles vostre goust aura plus d'inclination. Encor voudrois je que quelques fois la semaine vous couchassies vestu.

            Or, ces petites et foibles austerités vous serviront a double fin : l'une, pour impetrer plus aysement la lumiere requise a vostre esprit pour faire son choix ; car la deperition du cors en ceux qui ont les forces et la santé entiere, esleve merveilleusement l'esprit. L'autre, pour essayer et taster l'aspreté, affin de voir si vous la pourries embrasser et quelle repugnance vous y aures ; car cet essay vous est requis pour l'espreuve de la foible inclination que vous aves a la retraitte du monde. Et si vous estes fidele en la prattique du peu que je vous propose, on pourra juger quel vous series en beaucoup, qui s'exerce aux Religions.

            Pries instamment Nostre Seigneur qu'il vous illumine, et luy dites souvent la parole de saint Paul : Seigneur, que voules vous que je fasse ? Domine, quid me vis facere ? Et celle de David : Doce me facere voluntatem tuam, quia Deus meus es tu. Sur tout, si emmi la nuit vous vous esveilles, employes bien ce tems la a parler seul a seul a Nostre Seigneur sur vostre choix ; protestés souvent a sa Majesté que vous luy resignes et laisses en ses mains la disposition de tous les momens de vostre vie et qu'il luy playse les employer a son gré.

            Ne faites point de faute de faire l'orayson le matin, et le soir, quand vous pourres, une petite retraitte avant souper pour eslancer vostre cœur en Nostre Seigneur.

            Faites les passetems qui seront plus vigoureux, comme de monter a cheval, sauter et autres telz, et non pas les molletz, comme de jouer aux cartes et danser. Mais si de ceux la vous estes touché de quelque gloire : Helas ! dires vous, que me sert tout ceci a l'eternité ? [7]

            Communies tous les dimanches, et tous-jours avec prieres pour impetrer la lumiere requise ; et ces jours la de feste, vous pourres bien visiter, par maniere d'exercice, les lieux saintz des Capucins, Saint Bernard, les Chartreux.

            Si vous sentes l'inspiration prendre force du costé de la Religion et que vostre cœur en soit pressé, conferes avec vostre confesseur ; et en cas que vous prenies resolution, alles disposant le grand pere a cela, affin que, moins qu'il sera possible, l'ennuy et le desplaysir de vostre retraitte ne tombe sur la Religion, et vous seul en soyes chargé.

            Dieu vous veuille donner sa paix, sa grace, sa lumiere et sa tressainte consolation. [8]

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MCMLXXII. A un ami. Condoléances et sympathies.

 

            Monsieur,

Ces quatre lignes vous asseureront que j'ay autant participé a vostre desplaysir qu'amy que vous puissies avoir, et ay infiniment regretté la perte du bon exemple de vertu que cette chere ame donnoit en sa famille et en son voysinage. Et quant a moy, qui l'estimois et avois une particuliere dilection pour elle, je n'ay pas manqué ni ne manqueray de la recommander souvent a Nostre Seigneur, comme aussi tout ce qu'elle a laissé de plus cher en ce miserable monde.

            Que si je pouvois, par quelque bonne rencontre, vous tesmoigner en effect ce que je vous suis, vous auries grand sujet de vous asseurer de la veritable profession que je fays d'estre,

            Monsieur,

Vostre plus affectionné amy et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve. [9]

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MCMLXXIII. A un étudiant. Que nous apprend la vraie science de Dieu. — Consolations sur un décès.

 

            Mon cher Filz,

 

            La vraye science de Dieu nous apprend, sur toutes choses, que sa volonté doit ranger nostre cœur a son obeissance et a treuver bon, comme en effect il est tres bon, tout ce qu'elle ordonne sur les enfans de son bon playsir. Vous seres, je m'asseure, de ceux la, et selon ce principe, vous acquiesceres doucement et humblement, quoy que non sans sentiment de douleur, a la misericorde dont il a usé envers vostre bonne mere, qu'il a retiree dans le sein de sa bienheureuse eternité, ainsy que les dispositions precedentes nous donnent tout sujet de croire avec autant de certitude que nous en pouvons justement prendre en tel sujet.

            Or sus, c'est fait : voyla ce que j'avois a vous dire. Pleures maintenant, mais moderes vos pleurs et benisses Dieu ; car cette mere vous sera propice, comme vous deves esperer, beaucoup plus ou elle est, qu'elle n'eust sceu l'estre ou elle estoit. Regardes la donq la, avec les yeux de vostre foy, et accoyses en cela vostre ame.

            Vostre bon pere se porte bien et se comporte encor [10] mieux. Il y a environ un moys qu'il porte son deuil entre-meslé de tristesse et de consolation, selon les deux portions de son ame.

Estudies tous-jours de plus en plus, en esprit de diligence et d'humilité, et je suis

Tout vostre,

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCMLXXIV. A un gentilhomme. La mélancolie et le retour de la santé. — Un étrange tourment. — Pourquoi le Saint compatit à ceux qui en sont affligés. — De quelle crainte faut-il craindre les fins dernières ? — Défiance et présomption dans le service de Dieu. — Il n'est pas besoin de sentir toujours de la force et du courage. — L'espérance et la prière nous assurent le secours de Dieu. — Des essais trompeurs.

 

            Monsieur,

 

            Me voyci certes en une grande peine de sçavoir combien vous en aves eu parmi cette forte et fascheuse maladie de laquelle, comme j'espere, vous releves, et dont j'eusse eu infiniment plus de desplaysir, si de toutes partz on ne m'eust asseuré que, graces a Dieu, vous n'aves esté en nulle sorte de danger, et que vous commencies a reprendre les forces et le chemin de la guerison.

            Mais ce qui me donne plus d'apprehension maintenant, c'est ce qu'on crie, qu'outre le mal que vous aves par les accidens corporelz, vous estes surchargé d'une violente melancholie ; car je m'imagine combien cela retardera le retour de vostre parfaitte santé et engendrera de dispositions contraires. Or, c'est icy, Monsieur, ou mon cœur [11] est grandement pressé, et selon la grandeur de la vive et extreme affection dont il vous cherit plus qu'il ne se peut dire, il a aussi une extraordinaire compassion aux vostres.

            Et s'il vous plaist, Monsieur, dites moy, je vous supplie, quel sujet aves vous de nourrir cette triste humeur qui vous est si prejudiciable ? Je me doute que vostre esprit ne soit encor embarrassé de quelque crainte de la mort soudaine et des jugemens de Dieu. Helas ! que c'est un estrange tourment que celuy la ! Mon ame qui l'a enduré six semaines durant, est bien capable de compatir a ceux qui en sont affligés. Mais, Monsieur, il faut que je vous parle un peu cœur a cœur, et que je vous die que quicomque a un vray desir de servir Nostre Seigneur et fuir le peché ne doit nullement se tourmenter de la pensee de la mort, ni des jugemens divins ; car encor que l'un et l'autre soit a craindre, si est ce que la crainte ne doit pas estre de ce naturel terrible et effroyable qui abat et deprime la vigueur et force de l'esprit, ains doit estre une crainte tellement meslee avec la confiance en la bonté de Dieu, que par ce moyen elle en devienne douce.

            Et ne faut pas, Monsieur, que nous revoquions en doute si nous sommes en estat de nous confier en Dieu, quand nous sentons des difficultés a nous garder du peché, ni quand nous avons desfiance ou peur qu'es occasions et tentations nous ne puissions pas resister. Oh ! non, Monsieur, car la desfiance de nos forces n'est pas un manquement de resolution, ains une vraye reconnoissance de nostre misere. C'est un sentiment meilleur de se desfier de pouvoir resister aux tentations, que non pas celuy de s'en tenir pour asseuré et asses fort, pourveu que ce qu'on n'attend pas de ses forces on l'attende de la grace de Dieu : en sorte que plusieurs qui, avec grande consolation, se sont promis de faire des merveilles pour Dieu, quand c'est venu au point ont manqué ; et plusieurs qui [12] ont eu grande desfiance de leurs forces et une grande crainte qu'a l'occasion ilz ne manquassent, sur le champ ont fait merveilles, parce que ce grand sentiment de leur foiblesse les a poussés a rechercher l'ayde et le secours de Dieu, a veiller, prier et s'humilier pour ne point entrer en tentation.

            Je dis, qu'encor que nous ne sentions en nous ni force, ni mesme courage quelcomque pour resister a la tentation si elle se presentoit maintenant a nous, pourveu que nous desirions neanmoins de resister, et esperions que si elle venoit Dieu nous ayderoit et luy demanderions son secours, nous ne devons nullement nous contrister, d'autant qu'il n'est pas besoin de sentir tous-jours de la force et du courage, et suffit qu'on espere et desire d'en avoir en tems et lieu. Et n'est pas besoin qu'on sente en soy aucun signe ni aucune marque qu'on aura ce courage la, ains il suffit qu'on espere que Dieu nous aydera. Samson, qui estoit appellé le fort, ne sentoit jamais les forces surnaturelles dont Dieu l'assistoit sinon es occasions ; et pour cela il est dit que quand il rencontroit les lions ou les ennemis, l'Esprit de Dieu le saysissoit pour les tuer. Et Dieu, qui ne fait rien en vain, ne nous donne pas ni la force ni le courage quand il n'est besoin de l'employer, mais es occasions jamais il ne manque ; et partant il faut tous-jours esperer qu'en toutes occurrences il nous aydera, pourveu que nous le reclamions. Et nous devons tous-jours servir des paroles de David : Pourquoy es tu triste, mon ame, et pourquoy me troubles tu ? Espere au Seigneur ; et de l'orayson dont il usoit : Quand ma force defaillira, Seigneur, ne m'abandonnes point.

            Et bien donq, puisque vous desires d'estre tout a Dieu, pourquoy craindres vous vostre foiblesse, en laquelle, aussi bien, vous ne deves pas mettre aucune sorte d'appuy ? N'esperes vous pas en Dieu ? Et qui espere en luy sera il jamais confondu ? Non, Monsieur, jamais il ne le sera.

            Je vous conjure, Monsieur, d'appayser toutes les repliques qui se pourroyent former en vostre esprit, ausquelles il n'est besoin de respondre autre chose sinon que [13] vous desires d'estre fidele en toutes occurrences, et que vous esperes que Dieu fera que vous le seres, sans qu'il soit besoin d'essayer vostre esprit s'il le seroit ou non, car ces essays sont trompeurs, et plusieurs sont vaillans quand ilz ne voyent point l'ennemi, qui ne le sont pas en sa presence ; et au contraire, plusieurs craignent avant l'escarmouche, ausquelz le danger present donne le courage. Il ne faut pas craindre la crainte. Voyla pour ce point, Monsieur.

            Au demeurant, Dieu sçait ce que je voudrois faire et souffrir pour vous voir entierement delivré. Je suis

Vostre tres humble et affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCMLXXV. A un inconnu (Fragment). La variété des exercices et l'amour. — Pourquoi le Sauveur fut, dans tous les mystères de sa vie, « le Bienaymé de son Pere. » — Comment rendre parfaites nos actions les plus ordinaires.

 

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            Ces fonctions, a la verité, sont diverses, mais l'affection avec laquelle on y doit vaquer est unique. L'amour [14] seul est celuy qui diversifie le prix de nos exercices.

            Le divin Sauveur est le Bienaymé de son Pere dans le fleuve du Jourdain ou il s'humilie, aux noces de Cana ou il est exalté, sur le mont de Thabor ou il paroist transfiguré et sur la montagne du Calvaire ou il est crucifié ; parce qu'en toutes ses œuvres il honnore son Pere d'un mesme cœur, d'une pareille sousmission et d'une esgale affection. Essayons de mesme d'avoir une dilection exquise et noble, qui nous face rechercher l'unique aggreement de Nostre Seigneur ; et il rendra nos actions belles et parfaites, pour petites et communes qu'elles puissent estre.

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MCMLXXVI. A une dame. Une liberté que le saint Evêque n'a pas. — Désir de son humilité et de son amour de Dieu. — Le sceau du Roi sur nos affections. — Echange de prières.

 

            Madamoyselle,

 

            Pleust a Dieu que j'eusse autant de liberté que ce porteur en a, pour aller ou je voudrois ! vous me verries au moins toutes les annees une bonne fois aupres de vous, avec le contentement que les plus tendres enfans ont d'estre en la presence de leur bonne mere ; car vostre [15] bienveuillance et mon affection me rendent cela en vostre endroit. Mais puisque Dieu m'a voulu entraver comme les mauvais chevaux, affin que je demeurasse en ce champ, c'est bien la rayson que je m'y accommode et que sa divine volonté soit faite. Encor voudrois je bien la mienne plus souple a m'humilier sous cette souveraine Providence, affin de non seulement incliner mes affections au vouloir de mon Dieu, mays aussi d'aymer tendrement et affectueusement son sacré vouloir.

            Continués, Madamoyselle ma chere et bonne Mere, continués a servir cette supreme Bonté en sincerité et douceur d'esprit, puisqu'avec tant d'amour et de suavité elle vous y a invitee, et de si bonne heure. Tenes bien rangees vos affections sous celle de ce grand Sauveur, et vous gardés d'en nourrir aucune, sous quel pretexte que ce soit, qui ne soit battue au sceau du Roy celeste. N'aymes point, s'il se peut, la volonté de Dieu parce qu'elle est selon la vostre ; mais aymes la vostre quand et parce qu'elle sera selon celle de Dieu.

            Je suis bien esloigné de cette pureté : pour y parvenir, secoures moy en ce dessein, je vous supplie, par vos prieres et oraysons, ainsy que, de mon costé, je ne presente jamais le tressaint Sacrifice au Pere eternel que je ne luy demande pour vous abondance de son saint et sacré amour et ses plus desirables benedictions, et pour vostre famille.

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCMLXXVII. A la même. La posture de l'âme pendant les exercices extérieurs et intérieurs. — Liberté d'allure à l'oraison. — Confiance mutuelle. — Un conseil difficile à donner

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Puisque vous m'aves dit que mes lettres vous consoloyent tous-jours beaucoup, je ne veux perdre nulle occasion de vous en faire avoir, pour vous tesmoigner en quelque [16] sorte l'affection que j'aurois de me rendre utile a vostre ame ; a vostre ame, dis je, que je cheris extremement.

            Tenes la tous-jours assise et en repos devant Dieu pendant les exercices exterieurs, et levee et mouvante pendant les interieurs : comme font les abeilles, qui ne volent point dans leur ruche et faysant leur mesnage, mais seulement a la sortie. Pendant que nous sommes emmi les affaires, il se faut estudier a la tranquillité de cœur et a tenir nostre ame douce. En l'orayson, si elle veut voler, qu'elle vole ; si elle se veut remuer, qu'elle se remue ; bien qu'encor la, la tranquillité et simple repos de l'ame a voir Dieu, a vouloir Dieu et a savourer Dieu est extremement excellent.

            Quand je commence a vous escrire, je ne pense pas a ce que je vous escriray ; mais ayant commencé, j'escris tout ce qui me vient, pourveu que ce soit quelque chose de Dieu, car je sçay que tout vous est aggreable, ayant de beaucoup fortifié l'entiere confiance que mon cœur avoit au vostre en ce dernier voyage, ou je vis bien, ce me semble, que vous avies toute asseurance en moy.

            J'escris a cette bonne D. N., laquelle m'escrit que je la conseille sur sa vie future ; en quoy j'ay de la peyne, pour n'avoir guere veu son esprit, et le mien estant trop commun et trivial pour considerer une vie si singuliere comme est la sienne ; toutefois, je luy dis simplement ce que je pense.

            Dieu vous tienne en sa sainte protection et vous comble de ses graces.

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCMLXXVIII. A la même. Douceur et tranquillité. — Quel regard jeter sur le monde. — Adorer la volonté de Dieu en tout temps

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Que vous diray je ? Rien qu'un mot, faute de tems. Exercés fort vostre cœur a la douceur interieure et [17] exterieure, et le tenés en tranquillité parmi la multiplicité des affaires qui se presentent a vous. Gardes vous bien fort des empressemens, qui sont la peste de la sainte devotion, et continues a tenir vostre ame en haut, ne regardant ce monde que pour le mespriser, ni le tems que pour aspirer a l'eternité. Sousmettes souvent vostre volonté a celle de Dieu, estant preste a l'adorer autant quand elle vous envoyera des tribulations comme au tems des consolations.

            Dieu soit tous-jours au milieu de nos cœurs, ma tres chere Mere. Je suis en luy, sans reserve et d'une affection toute filiale,

Vostre bien humble filz et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCMLXXIX. A une dame. Les vertus fortes et les meilleurs vins. — Ce qui rend les tribulations précieuses.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Je participe, par compassion, a tant d'aigres douleurs que vous souffres, et ne laisse pas de recevoir beaucoup de consolation dequoy vous les souffres en esprit de resignation. Ma chere Mere, les vertus qui croissent entre les prosperités sont ordinairement floüettes et imbecilles, et celles qui naissent entre les afflictions sont fortes et fermes, ainsy qu'on dit que les meilleurs vins croissent entre les pierres.

            Je prie Dieu qu'il soit tous-jours au milieu de vostre cœur, affin qu'il ne soit point esbranlé parmi tant de [18] secousses, et que, vous faysant part de sa Croix, il vous communique sa sainte tolerance et ce divin amour qui rend si pretieuses les tribulations.

            Je ne cesseray jamais de reclamer le secours de ce Pere eternel sur une fille que j'honnore et cheris comme ma Mere.

            Je suis, ma chere Mere,

Vostre en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCMLXXX. A une dame. Demander à Dieu la douceur d'esprit dès le matin, et s'en souvenir cent fois le jour. — Se relever après ses fautes, sans perdre courage.

 

            Je prie Dieu qu'il benisse vostre cœur, ma chere Fille, et vous dis ces trois motz, selon ma promesse.

            Vous devries tous les matins, avant toute chose, prier Dieu qu'il vous donnast la vraye douceur d'esprit qu'il requiert es ames qui le servent, et prendre resolution de vous bien exercer en cette vertu la, sur tout envers les deux personnes a qui vous aves le plus de devoir. Vous deves faire cette entreprise de vous bien commander en cela, et vous en souvenir cent fois le jour, recommandant a Dieu ce bon dessein ; car je ne voy pas que vous ayes beaucoup a faire pour bien assujettir vostre ame a la volonté de Dieu, sinon de l'addoucir de jour en jour, mettant vostre confiance en sa bonté.

            Vous seres bienheureuse, ma chere Fille, si vous faites ainsy, car Dieu habitera au milieu de vostre cœur et y regnera en toute tranquillité. Mais s'il vous arrive de commettre quelque manquement, ne perdes point courage, ains remettes vous soudain, tout ne plus ne moins [19] que si vous n'esties point tombee. Cette vie est courte et elle ne nous est donnee que pour gaigner l'autre ; et vous l'employeres bien si vous estes douce envers ces deux personnes avec lesquelles Dieu vous a mise.

            Pries pour mon ame, que Dieu la tire a soy. Je suis tout vostre.

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCMLXXXI. A une dame. L'ombre nécessaire pour conserver les fruits des résolutions

 

            Je vous supplie, ma chere Fille, n'abandonnes jamais le train des saintes resolutions que vous aves faites, car Dieu qui les a donnees a vostre cœur luy en demandera le conte. Et pour les bien conserver, tenes vous pres du Sauveur, car son ombre est salutaire pour la naissance et conservation de telz fruitz. Je le supplie qu'il vous tienne de sa sainte main, affin que jamais vous ne vous esgaries de la sainte et droitte voye qu'il vous a monstree. A cœur vaillant, rien impossible.

            Par tout, je vous honnoreray de tout mon cœur, vous souhaitant incessamment la grace, paix et consolation de Nostre Seigneur, selon lequel je suis,

            Ma tres chere Fille,

Vostre humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCMLXXXII. A une dame. Le but divin des afflictions. — Recevoir avec amour ce que Notre-Seigneur nous envoie par amour. — Assurance de prières

 

            Qu'est ce que fait vostre cœur, ma tres chere Fille ? Nostre frere m'escrit que vous aves receu quelque sorte [20] d'affliction qu'il ne me nomme point. Certes, quelle qu'elle soit, elle me donne bien de la condoleance, mays aussi quant et quant de la consolation, puisqu'il dit que Dieu vous l'a envoyee ; car, ma tres chere Fille, rien ne sort de cette main divine que pour l'utilité des ames qui le craignent, ou pour les purifier, ou pour les affiner en son saint amour. Ma tres chere Fille, vous seres bienheureuse si vous receves d'un cœur finalement amoureux ce que Nostre Seigneur vous envoye d'un cœur si paternellement soigneux de vostre perfection. Regardes souvent a la duree de l'eternité, et vous ne vous troubleres point des accidens de la vie de cette mortalité Ainsy soit il.

            Ma tres chere Fille, vous aves tous-jours part'a mes chetifves prieres, et tout maintenant je m'en vay offrir vostre cœur bienaymé au Pere celeste, en l'union de celuy de son Filz tres aymé, en la tressainte Messe ; qui suis invariablement, ma tres chere Fille,

            Vostre tres affectionné serviteur en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCMLXXXIII. A une dame. Le secours de Dieu ne manque jamais aux âmes confiantes. — Porte royale du temple de la sainteté. — Comment regarder ses afflictions. — Croix d'or ornée de pierres précieuses.

 

            Madame,

 

            Si Dieu vous a rendue plus forte et vaillante a supporter vos adversités, la gloire en soit a sa Bonté, laquelle est tous-jours prompte au secours des ames qui esperent en luy. Esperes donq tous-jours en luy, Madame, et, [21] pour esperer en luy, soyes tous-jours toute sienne. Immolés souvent vostre cœur a son amour sur l'autel mesme de la Croix en laquelle il immola le sien pour l'amour de vous. La croix est la porte royale pour entrer au temple de la sainteté ; qui en cherche ailleurs n'en treuvera jamais un seul brin.

            Madame, je ne vous diray pas que vous ne regardies point vos afflictions, car vostre esprit, qui est prompt a repliquer, me diroit qu'elles se font bien regarder par l'aspreté de la douleur qu'elles donnent ; mais je vous diray bien que vous ne les regardies pas qu'au travers de la Croix, et vous les treuveres ou petites, ou du moins si aggreables, que vous en aymeres plus la souffrance que la jouyssance de toute consolation qui en est separee. Et me resouvenant de cette croix exterieure que vous porties, quand j'eus le contentement de vous voir, sur vostre cœur, aymés bien vostre croix, ma chere Dame, car elle est toute d'or si vous la regardes de vos yeux d'amour. Et bien que d'un costé vous voyes l'Amour de vostre cœur mort et crucifié entre les cloux et les espines, vous treuverés de l'autre un assemblage de pierres pretieuses pour en composer la couronne de gloire qui vous attend, si, en attendant de l'avoir, vous portés amoureusement celle d'espines, avec vostre Roy qui a tant voulu souffrir pour entrer en sa felicité.

            Vous connoistrés bien que mon cœur se dilate en vous parlant, et que c'est une saillie de l'amour qu'il a pour le vostre, que je conjure d'en faire aussi souvent devant Dieu pour impetrer sa misericorde sur moy, qui suis en verité,

Vostre tres humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve. [22]

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MCMLXXXIV. A une dame. Permission accordée de renouveler un vœu

 

VIVE + JESUS

 

            Madame,

 

            S'il vous plaist de renouveller le vœu de continence a la Messe, ainsy que j'offriray le saint Sacrifice, offrés le a mesme tems a Dieu le Pere ; et moy, en vostre nom, je [le] luy offriray aussi avec son Filz, le chaste Aigneau, auquel je le recommanderay, pour le garder et proteger envers tous et contre tous, comme aussi le propos de vœu d'obeissance ; et l'ayant mis par escrit, vous me le donneres apres la Messe.

            Dieu veuille recevoir vostre sacrifice et benir vostre saint holocauste. Que la Vierge, les Anges et tous les Saintz le veuillent accompaigner et recommander a leur Maistre ; et priés vostre bon Ange d'estre pres de vous quand vous le feres.

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MCMLXXXV. A une demoiselle. Quand les « empressemens d'amour » en l'oraison sont bons. — La différence entre les « abnegations mentales » et les réelles. — N'ouvrir la bouche que de par Dieu. — Une superfluité à retrancher.

 

            Je respons a vostre derniere lettre, ma bonne Fille. Les empressemens d'amour en l'orayson sont bons, s'ilz vous [23] laissent des bons effectz et qu'ilz ne vous amusent point a vous mesme, mais a Dieu et a sa sainte volonté ; et en un mot, tous les mouvemens interieurs et exterieurs qui affermissent vostre fidelité envers cette volonté divine seront tous-jours bons. Aymés donq bien les desirs celestes, et desires aussi fort les amours celestes. Il faut desirer d'aymer et aymer a desirer ce qui jamais ne peut estre asses ni desiré, ni aymé.

            Dieu vous face la grace, ma Fille, de bien absolument mespriser le monde qui vous est si inique : qu'il nous crucifie, pourveu que nous le crucifiions ! Aussi les abnegations mentales des vanités et commodités mondaines se font asses aysement ; les reelles sont bien plus difficiles. Et vous voyla donq emmi les occasions de prattiquer cette vertu jusques a l'extremité, puisqu'a cette privation est joint l'opprobre, et qu'elle se fait en vous, sans vous et pour vous, mais plus en Dieu, avec Dieu et pour Dieu.

            Je ne suis pas satisfait de ce que je vous dis l'autre jour, sur vostre premiere lettre, de ces reparties mondaines et de cette vivacité de cœur qui vous pousse. Ma Fille, prenes donq a prix fait de vous mortifier en cela ; faites souvent la croix sur vostre bouche, affin qu'elle ne s'ouvre que de par Dieu. Il est vray, la joliveté de l'esprit nous donne quelquefois bien de la vanité, et on leve plus souvent le nez de l'esprit que celuy du visage ; on fait les doux yeux par les paroles aussi bien que par le regard. Il n'est pas bon, vrayement, d'aller sur le bout du pied, ni d'esprit ni de cors ; car si on choppe, la cheute en est plus rude. Or sus donq, ma Fille, prenes bien du soin pour retrancher petit a petit cette superfluité de vostre arbre, et tenes vostre cœur la, tout bas, tout coy, au pied de la Croix.

            Continues a me dire bien franchement et souvent des nouvelles de ce cœur la, que le mien cherit d'un grand amour, pour Celuy qui est mort d'amour affin que nous vescussions par amour en sa sainte et vitale mort.

            VIVE JESUS !

FRANÇS, E. de Geneve. [24]

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MCMLXXXVI. A une demoiselle (Fragment). Les amitiés les plus solides. — Béatitude du désert

 

Vers le 8 septembre.

 

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            O Dieu, que les amitiés fondees sur le solide fondement de la charité sont bien plus constantes et fermes que celles desquelles le fondement est en la chair et au sang et aux respectz mondains !

            Ne vous troubles point pour vos secheresses et sterilités, ains consoles vous en vostre esprit supérieur, et vous souvenes de ce que Nostre Seigneur a dit : Bienheureux sont les pauvres d'esprit ; bienheureux sont ceux qui ont faim et soif de justice. Quel bonheur de servir Dieu au desert, sans manne, sans eau et sans autres consolations que celle qu'on a d'estre sous sa conduitte et de souffrir pour luy !

            La tressainte Vierge puisse bien naistre dedans nos cœurs pour y apporter ses benedictions. Je suis en elle et en son Filz, tout entierement vostre.

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MCMLXXXVII. A une demoiselle. Mauvaise vengeance que celle d'un procès. — Le vrai courage consiste à mépriser le mépris. — Manœuvre de la Providence pour ramener au port et préserver du naufrage.

 

            Que je suis marry, ma tres chere Fille, dequoy je n'ay point receu vos dernieres lettres ! Mais nostre chere Mme N. [25] m'ayant communiqué l'estat de vos affaires, je vous dis de tout mon cœur, c'est a dire de tout ce cœur qui cherit uniquement le vostre, que vous ne vous opiniastries point a plaider. Vous y consommeres vostre tems inutilement, et vostre cœur encor, qui est le pis. On vous a rompu la foy donnee ; celuy qui l'a rompue en a le plus grand mal. Voules vous, pour cela, vous occuper d'une si fascheuse occupation comme est celle d'un mauvais proces ? Vous ne seres que tres mal vengee si apres avoir receu ce tort vous perdes vostre tranquillité, vostre tems et le train de vostre interieur. Vous ne sçauries tesmoigner plus de courage que de mespriser le mespris.

            Bienheureux sont ceux que l'on laisse en liberté, au prix des moins infortunés. Exclames comme saint François (son pere le rejetta) : Hé ! dit il, « je diray donq avec tant plus de confiance : Nostre Pere, qui estes au ciel, puisque je n'en ay plus en terre. » Et vous : Hé ! je diray donq tant plus confidemment : Mon Espoux, mon Amour, qui est au Ciel.

            Conservés vostre tranquillité, et sçachés bon gré a la Providence divine qui vous ramene au port duquel vous vous esloignies, comme vous pensies faire ; en lieu de navigation, vous eussies peut estre fait un grand naufrage.

            Receves cest advis d'une ame qui vous cherit tres purement et sincerement, et je prie Dieu qu'il vous comble de benedictions.

            En haste, je salue nostre chere seur.

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MCMLXXXVIII. A la même. Aversion du Saint pour les procès, surtout pour ceux qui se font à la suite de « manquements de promesses. » — Le meilleur remède contre les gens qui rompent la foi donnée. — Comment obtenir une constante tranquillité de cœur

 

            Sur la premiere partie de la lettre que vous aves escritte a madame N., et que vous aves desiré m'estre [26] communiquee, ma tres chere Fille, je vous diray que si monsieur N. ne vous faysoit point d'autres allegations que celle que vous marques et [s'] il avoit affaire devant nous, nous le condamnerions a vous espouser sous des grosses peynes ; car il n'y a pas rayson que, pour des considerations qu'il a peu et deu faire avant sa promesse, il veuille maintenant rompre parole. Or, je ne sçai pas comme ces choses passent par dela, ou souvent on ne suit pas les regles que nous avons en nos affaires ecclesiastiques.

            Au demeurant, ma tres chere Fille, le desir que j'ay eu de vous dissuader [de] la poursuitte de ce mauvais proces n'avoit pas son origine de la desfiance de vostre bon droit, mays de l'aversion et mauvaise opinion que j'ay pour tous les proces et toutes les contentions. Certes, il faut que l'issue d'un proces soit merveilleusement heureuse, pour reparer les frais, les amertumes, les empressemens, la dissipation du cœur, l'odeur des reproches et la multitude des incommodités que les poursuittes ont accoustumé d'apporter. Sur tout, j'estime fascheux et inutiles, ains dommageables, les proces qui se font pour les paroles insolentes et manquemens de promesses, quand il n'y a point d'interest reel ; parce que les proces, en lieu de suffoquer les mespris, ilz les publient, dilatent et font continuer, et en lieu de reduire a l'observation des promesses, ilz portent a l'autre extremité.

            Voyes vous, ma tres chere Fille, j'estime qu'en vraye verité le mespris du mespris et le tesmoignage de generosité que l'on rend par les desdains de la foiblesse et inconstance de ceux qui rompent la foy qu'ilz nous ont donnee, c'est le meilleur remede de tous. La pluspart des injures sont plus heureusement rejettees par le mespris qu'on en fait que par aucun autre moyen ; le blasme en est plus pour l'injurieux que pour l'injurié.

            Avec tout cela, neanmoins, ce sont mes sentimens generaux, lesquelz peut estre ne sont pas propres pour l'estat particulier auquel vos affaires se treuvent ; et suivant un bon conseil pris sur la consideration des particulieres circonstances qui se presentent, vous ne pouves pas faillir. [27] Je prieray donq Nostre Seigneur qu'il vous donne une bonne et sainte issue de cest affaire, affin que vous abordies au port d'une solide et constante tranquillité de cœur, qui ne se peut obtenir qu'en Dieu, au saint amour duquel je souhaitte que de plus en plus vous fassies progres.

            Dieu vous benisse de ses grandes benedictions, ma tres chere Fille ; c'est a dire, Dieu vous rende tres parfaitement toute sienne. Je suis en luy

Vostre tres affectionné et plus humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Je salue de tout mon cœur monsieur vostre pere, que je cheris avec un amour et honneur tres particulier, et madame vostre chere seur.

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MCMLXXXIX. A une inconnue. Pourquoi Notre-Seigneur permet les petites disettes spirituelles. — Un prédicateur dont il fait bon ouïr les paroles. — Le cœur et la volonté au temps de la sécheresse.

 

            Continues a souffrir ces petites disettes et pauvretés spirituelles que Nostre Seigneur en sa bonté permet arriver en vostre ame, car ce n'est que pour l'affermir et rendre solide, tandis que, par resolution, vous vous attachés a sa divine Majesté, sans entremise d'aucune sorte de consolation. Faites donq bien ainsy, ma chere Fille, en toute sorte d'evenement.

            Tenes vous bien pres de Nostre Seigneur et le supplies qu'il soit vostre predicateur luy mesme ce Caresme. Ah, qu'il fait bon ouÿr ces sacrees paroles qu'il dit a nos cœurs quand nous les mettons aupres du sien !

            Vrayement, ma chere Fille, je n'ay nul soucy de vostre cœur, pourveu que vostre volonté soit en asseurance, toute [28] resignee en celle de Nostre Seigneur. Laisses le la, ce cœur chetif, s'il veut demeurer immobile, pourveu que la volonté qui est en luy tire et meuve en son Dieu.

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MCMXC. A une inconnue. On connaît la fidélité dans les occasions. — Ce qui donnera « les rangs » parmi les enfants de Dieu. — Ne pas s'attrister des répugnances, mais les surmonter. — La vraie force du cœur

 

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            Au demeurant, ma tres chere Fille, humilies vous souvent devant Dieu et a toute creature pour l'amour de Dieu. Et par ce que le cœur fidele se connoist es rencontres, employes bien toutes les occasions qui se presenteront de vous associer doucement aux personnes moins relevees ; traittes les amiablement, uses envers elles de paroles courtoyses et de cordialité. Helas ! ma tres chere Fille, les qualités de cette vie sont en effect peu considerables, nous sommes telz en verité que nous sommes devant les yeux de Dieu ; l'humilité sera seule consideree lhors que l'on donnera les rangs aux enfans de Dieu. Vous seres bienheureuse si vous aves quelque repugnance a vous apprivoyser, esgaler et associer a quelques personnes, car en surmontant la repugnance, vostre humilité en sera plus excellente.

            Soyes vaillante, et tenes vostre cœur haut et eslevé en Dieu ; ne vous estonnes point de vous sentir foible, car moyennant que vous invoquies Dieu, il sera vostre force pour bien et diligemment executer le desir que vous aves de ne vivre qu'en luy. J'espere que l'œuvre de sa divine Majesté encommencee en vostre cœur sera [29] parfaitte un jour, et qu'eternellement vous luy en rendres gloire.

            Et tandis, a jamais je cheriray et honnoreray vostre cœur de tout le mien, vous souhaitant toute sainteté et benediction. Amen.

 

Revu sur une ancienne copie conservée au Monastère de la Visitation de Rouen.

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MCMXCI. A une dame. L'arbre planté en ce monde, et le Cultivateur céleste. — Suivre la volonté de Dieu et marcher dans ses voies. — Un mort auquel on porte plus d'envie que de compassion

 

            Madame,

 

            Dieu vous a visitee pour preuve de vostre constance et fidelité. L'homme n'est en ce monde que comme un arbre planté de la main du Createur, cultivé par sa sagesse, arrousé du sang de Jesus Christ, affin qu'il porte des fruitz propres au goust du Maistre, qui desire estre servi en ceci principalement, que, de plein gré, nous nous laissions gouverner a sa Providence qui mene les volontaires et traisne a force les refractaires.

            Madame, vous estes sa fille, vous protestes tous les jours et le pries que sa volonté s'accomplisse en la terre comme au ciel ; que vous reste il a faire, qu'a vous resoudre courageusement a consoler monsieur vostre espoux et a vous conduire en ce pelerinage par les voyes qu'il plaira a la Majesté divine de vous tracer ?

            Luy vous doit estre pour filz, pour pere, pour mere, pour frere, pour tout, en la presence duquel si vous vives tous-jours en innocence, au moyen de la grace vous obtiendres un jour le Paradis auquel regne cette ame bienheureuse de ce petit innocent, auquel je porte plus d'envie que de compassion, sachant qu'il void la face de [30] Dieu, comme fait son Ange qui avoit esté commis a sa tutelle. Attendant donq ce bonheur que de le voir un jour en cette felicité eternelle, je prie Dieu pour vostre confort d'aussi bon cœur que je suis

Vostre tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCMXCII. A une dame. L'unique et parfait Consolateur. — En quel temps il fait bon mourir. — Pleurer sur la perte des nôtres, mais non désordonnément. — Faire de bonne heure nos adieux à ce monde

 

            Helas ! ma chere Fille, nous sommes miserables de sçavoir par tant d'experiences combien cette vie est mortelle, et de nous affliger neanmoins si fort quand, ou nous ou les nostres passons de la vie a la mort. Dieu soit au milieu de vostre cœur, ma Fille, et vous soit unique et parfait Consolateur en cest inopiné accident de cette bonne et vertueuse seur, laquelle, sans aucun esbranslement precedent de sa santé, est tombee en un moment a la mort, mais, comme nous devons esperer, entre les mains de la misericorde de son Sauveur. O Dieu, qu'il fait bon mourir, puisqu'il le faut, autour de ces bonnes festes ! car on se prepare, par les Sacremens, a l'advantage.

            Vous series trop temeraire, ma tres chere Fille, si vous pretendies d'estre exempte des secousses que l'inconstance et misere de cette vie donne de tems en tems aux hommes. Je veux bien que vous pleuries pour cette perte, car c'est la rayson ; mais je desire bien aussi que vous ne pleuries pas desordonnement, et qu'en cette occasion vous tesmoignies que vous aves des-ja tant proffité en la vertu, que vous aves plus de fondement sur l'eternité que sur l'image de ce monde. Voyes cette si soudaine mort, qui n'a pas donné le loysir a la deffunte [31] de dire les adieux d'honneur a ceux qu'elle cherissoit ; et, en esperant qu'elle est passee en la grace de Nostre Seigneur, disons nos adieux de bonne heure, renonçant affectionnement au monde et a toute sa vanité, et colloquons nos cœurs en la bienheureuse eternité qui nous attend.

            Hé, ma pauvre Fille, mon cœur compatit au vostre, et le conjure d'estre tout a Celuy qui nous resuscitera de mort a vie et qui nous a preparé ses eternelles benedictions. Qu'a jamais son saint Nom soit beni !

Je suis en luy, vostre tout entierement,

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCMXCIII. A la même. Consolations sur la mort subite de la sœur de la destinataire. — Après une secousse de notre cœur, recourir à Notre-Seigneur, et loger nos espérances en lui. — Une confidence de Saint. — La planche pour passer à l'éternité.

 

            Or sus, ma chere Fille, il faut donq bien reprendre courage apres cette secousse. Helas ! ce sont des accidens naturelz que l'apoplexie et cheute de catarrhe ; et Nostre Seigneur, voyant arriver nostre fin, nous prepare doucement par ses inspirations affin que nous ne soyons pas surpris, ainsy qu'il a fait cette bonne seur.

            Je ne m'estonne point que vous ayes esté estonnee et que vous n'ayes pas si tost sceu retreuver vostre cœur pour le rapporter a son Sauveur. O Dieu, ma chere Fille, il se faut bien preparer a mieux faire pour la premiere occasion qui se presentera ; car a mesure que nous voyons ce monde et les liens que nous y avons se rompre devant nos yeux, il faut recourir plus ardemment [32] a Nostre Seigneur et advoüer que nous avons tort de loger nos esperances et esperer nos contentemens ailleurs qu'en luy et en l'eternité qu'il nous a destinee.

            Il faut que je die ce petit mot de confiance : il n'y a homme au monde qui ayt le cœur plus tendre et affectionné aux amitiés que moy, et qui ayt le ressentiment plus vif aux separations ; neanmoins je tiens pour si peu de chose cette vanité de vie que nous menons, que jamais je ne me retourne a Dieu avec plus de sentiment d'amour que quand il m'a frappé, ou quand il a permis que je sois frappé. Ma Fille, portons bien nos pensees au Ciel, et nous serons fort exemptz des accidens de la terre.

            Cette bonne seur avoit bien prié Dieu ; sur cela, elle a esté ravie devant luy : il faut esperer que ç'a esté pour son mieux que Nostre Seigneur ayt ainsy disposé. Demeurons en paix, en attendant qu'il dispose de nous.

            Ma Fille, tenons peu de conte de ce monde, sinon en tant qu'il nous sert de planche pour passer a l'autre meilleur. Et moy je suis tout vostre en Celuy qui se rendit tout nostre, mourant sur l'arbre de la croix.

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCMXCIV. A une demoiselle. Imperfection du désir de la mort. — Espérance sur une trépassée. — La parole de saint François d'Assise

 

            Il faut bien vrayement, ma chere Fille, qu'avec un peu de loysir vous taschies de soulager ce cœur paternel, comme une fille nourrie en l'eschole de Jesus Christ doit faire. Je ne veux pas, ma chere Fille, que vous desiries nullement la mort, car vous n'estes plus vostre, ains a Celuy qui, pour vous avoir faite sienne, s'est rendu [33] tout vostre ; et partant il ne vous appartient pas de desirer ni de sortir de ce monde, ni d'y demeurer, ains vous deves laisser ce soin au Seigneur.

            Au reste, cette mere tesmoigna tant la presence de la grace de Dieu en son trespas, que nous devons tenir qu'elle est presente, ou du moins asseuree d'estre bien tost presente a sa gloire eternelle. Que si, selon la fragilité de cette vie, elle a besoin de suffrages, ma chere Fille, elle n'en manquera pas, Dieu aydant.

            A mesure que Dieu tire nos plus chers a soy, il veut attirer nostre cœur, et, comme disoit saint François : A qui n'a point de pere en terre, il est plus aysé de dire : Nostre Pere, qui estes aux cieux. Et [a] qui n'a point de mere en terre, il est plus aysé [de dire] a la Bonté divine : Nostre dame, nostre mere qui estes au Ciel. En somme, ma chere Fille, releves le plus que vous pouves vostre cœur en Dieu, et il vous consolera.

            Je suis en luy, tout parfaitement tout vostre.

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MCMXCV. A une dame. Condoléances et consolations. — Pour qui toute mort est-elle heureuse ? — Vivre avec des pensées généreuses et magnifiques. — Etre doux et paisible ce n'est pas être insensible

 

            Or sus, ma tres chere Fille, il faut donq que vostre cœur souffre l'absence des maintenant de monsieur vostre bon pere, puisque en fin la Providence divine l'a retiré a soy et mis hors de cette chetifve vie mortelle en laquelle nous vivons en mourant et mourons continuellement en vivant.

            Pour moy, ma tres chere Fille, je ne veux point vous presenter d'autre consolation que Jesus Christ crucifié, a la veuë duquel vostre foy vous consolera ; car apres cette mort du Sauveur, toute mort est heureuse a ceux qui, comme le deffunt duquel je parle, meurent au [34] giron et avec le secours de la sainte Eglise ; et quicomque se glorifie en la mort de Nostre Seigneur, jamais il ne se desolera en la mort de ceux qu'il a rachetés et receus pour siens.

            Ma Fille, qui aspire a l'eternité se soulage aysement des adversités de cette vie, qui ne dure que de legers, chetifs et courtz momens. En cette eternité, nous jouirons de rechef de la societé des nostres, sans jamais en craindre la separation.

            J'ay accoustumé de dire a toutes les ames qui s'addressent a moy, mays je vous le dis tres particulierement a vous qui estes si particulierement ma fille, qu'il faut eslever le cœur en haut, ainsy que dit l'Eglise au saint Sacrifice. Vives avec des pensees genereuses et magniques qui vous tiennent attachee a cette eternité et a cette sacree Providence, qui n'a disposé ces momens mortelz que pour cette vie eternelle. Ce cœur ainsy genereusement relevé est tous-jours humble, car il est establi en la verité et non en la vanité ; il est doux et paysible, car il ne tient conte de ce qui le peut troubler. Mais quand je dis qu'il est doux et paysible, je ne veux pas dire qu'il n'ayt point de douleur ni de sentiment d'affliction. Non certes, ma chere Fille, je ne dis pas cela ; mais je dis que les souffrances, les peines, les tribulations sont accompaignees d'une si forte resolution de les souffrir pour Dieu, que toute cette amertume, pour amere qu'elle soit, est en paix et tranquillité.

            Je vous escris bien pressé et avant qu'avoir veu pas un de messieurs vos parens ; et ce sera presque ordinairement que je vous escriray de mesme façon, puisque je ne veux perdre l'occasion. Je suis, d'une affection incomparable,

           Vostre

FRANÇS, E. de Geneve. [35]

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MCMXCVI. A une dame. Le Jourdain et la Terre promise. — Comment la bonté de Dieu disposa une âme à son passage à l'éternité. — La couronne d'épines gage de la couronne de roses. — Admirable et touchante tendresse du Saint. — Pourquoi ne peut-il « vouloir mal a la mort. »

 

            Voyla donq, ma chere Fille, comme rang a rang nous passons le fleuve Jourdain pour entrer en la Terre de promission ou Dieu nous appelle les uns apres les autres. O vive Jesus ! il n'y a pas dequoy en ce monde pour faire souhaiter que les amis y demeurent beaucoup.

            Je connoissois cette bonne seur deffunte, non seulement de veuë exterieure, mais encor par quelque communication de son ame qu'elle me fit en ma visite ; et n'y a qu'environ une annee que je luy envoyay l'habit du Tiers Ordre des Carmes, qu'elle m'avoit mandé requerir pour sa devotion, et, a la reception, elle fit une confession generale a un homme fort capable, qui me l'escrivit ou me le dit, je le sçai bien. Eh bien, ma chere Fille, n'estoit ce pas une disposition que la bonté de Dieu faisoit en elle pour la tirer une annee apres a soy ? Gloire soit donq au Pere et au Filz et au Saint Esprit.

            Ouy, tres chere Fille, pleurés un peu sur cette trespassee, car et Nostre Seigneur pleura bien un peu sur son cher Lazare ; mais que ce ne soyent pas des larmes de regret, mais d'une sainte compassion chrestienne et d'un cœur qui, comme celuy de Joseph, pleure de tendreté, et non pas de fierté comme celuy d'Esaü. C'est en ces occasions esquelles, avec un saint amour, il faut soüefvement acquiescer au bon playsir du doux Jesus.

            Mais dites moy, ma Fille, et nous, quand irons nous en cette patrie qui nous attend ? Helas ! nous voyci a la surveille de nostre despart, et nous pleurons ceux qui y sont allés ! Bon presage pour cette ame, qu'elle ayt souffert beaucoup d'afflictions, car ayant esté couronnee [36] d'espines, il faut croire qu'elle aura la couronne de roses. Qu'elle aille donq, cette bonne seur, qu'elle aille posseder son eternel repos au giron de la misericorde de Dieu. Que si mes prieres luy peuvent accelerer ce bien, je les luy prometz de bon cœur, et si je pouvois tenir son rang en vostre amitié, je le vous demanderois de bon cœur aussi. Au moins me permettres vous que je tienne celuy que j'y ay, et qu'a mesure que ces parens temporelz vous vont manquant, l'affection plus que paternelle que je vous porte et que je vous ay dediee fort fidelement s'aggrandisse en tendreté et ardeur sainte.

            Prenes, ma Fille, les bandelettes de Nostre Seigneur, ou son suaire duquel il fut enveloppé au sepulchre, et essuyes vos larmes avec cela. Vrayement, je pleure aussi bien, moy, en telles occasions, et mon cœur, de pierre es choses celestes, jette des eaux pour ces sujetz ; mais, Dieu soit loué ! tous-jours doucement et, pour vous parler comme a ma chere fille, tous-jours avec un grand sentiment d'amoureuse dilection envers la providence de Dieu ; car despuis que Nostre Seigneur a aymé la mort et qu'il a donné sa mort pour objet a nostre amour, je ne puis vouloir mal a la mort ni de mes seurs, ni de personne, pourveu qu'elle se fasse en l'amour de cette mort sacree de mon Sauveur. Qu'a jamais il vive et regne en nos cœurs. Amen.

            Je suis en luy, tres veritablement

Tout vostre,

FRANÇS, E. de Geneve.

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MCMXCVII. A une demoiselle. La valeur de la vie ; bonheur de la destinataire de connaître à quoi Dieu veut qu'elle l'emploie. — Persévérer dans sa voie, tout en appréciant les autres

 

            Cette vie est courte, ma tres chere Fille, mais elle est pourtant de grande valeur, puisque par icelle nous [37] pouvons acquerir l'eternelle : bienheureux sont ceux qui la sçavent employer a cela.

            Mais vous, ma tres chere Fille, vous aves un grand sujet de louer Dieu qui, avec une providence fort speciale, ne vous a pas seulement donné la volonté de rapporter vos jours mortelz a celuy de l'immortalité, mais vous a marqué le lieu, les moyens et la façon avec laquelle vous deves appliquer le reste de ces momens perissables a la conqueste de la tressainte eternité. N'en doutes jamais, ma tres chere Fille, la vraye lumiere du Ciel vous a fait voir vostre chemin ; elle vous conduira par iceluy fort heureusement. Il y a sans doute des chemins plus excellens, mais non pas pour vous ; et l'excellence du chemin ne rend pas excellens les voyageurs, ains leur vistesse et agilité. Tout ce qui vous voudra destourner de cette voye, tenes le pour tentation d'autant plus dangereuse que peut estre elle sera specieuse. Rien n'est si aggreable que la perseverance, a la divine Majesté, et les plus petites vertus, comme l'hospitalité, rendent plus parfaitz ceux qui perseverent jusques a la fin, que les plus grandes qu'on exerce par change et varieté.

            Demeures donq en repos et dites : O combien de voyes pour le Ciel ! benis soyent ceux qui marchent par icelles ; mais puisque celle ci est la mienne, je marcheray en icelle avec paix, sincerité, simplicité et humilité. Ouy sans doute, ma tres chere Fille, l'unité de cœur est le plus excellent moyen de la perfection. Aymes tout, loues tout ; mais ne suives, mais n'aspires que selon la vocation de cette Providence celeste, et n'ayes qu'un cœur qui sera pour cela.

            Dieu le comble de son saint amour, ce cœur, que le mien cherit et cherira eternellement. Amen. Ma tres chere Fille,

Vostre tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve. [38]

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MCMXCVIII. A une demoiselle. Quel avis François de Sales eût donné à sa correspondante s'il avait trouvé son esprit dans l'indifférence. — Les raisons contre le mariage doivent céder devant une forte inclination. — Délicats et francs conseils sur les vertus à pratiquer pour couvrir « la tare du cors. » — Le miel tiré du thym.

 

            Je respons a vostre lettre du 2 de ce mois plus tard que je ne desirois, attendu la qualité de l'advis et du conseil que vous me demandes ; mais les grandes pluyes ont empesché les voyageurs de se mettre en campagne, au moins n'ay je point eu de commodité asseuree jusques a celle ci.

            L'advis que la bonne cousine vous donna si constamment, de demeurer en vous mesme au service de monsieur vostre pere et en estat de vous consacrer par apres cœur et cors a Nostre Seigneur, estoit fondé sur une grande quantité de considerations tirees de plusieurs circonstances de vostre condition ; c'est pourquoy, si vostre esprit se fust treuvé en une pleine et entiere indifference, je vous eusse sans doute dit qu'il failloit suivre cet advis la, comme le plus digne et le plus propre qu'on vous sceust proposer, car, sans difficulté, il eust esté tel. Mays puisque vostre esprit n'est nullement en l'indifference, ains totalement penché au choix du mariage, et que nonobstant que vous ayes recouru a Dieu vous vous y sentes encor attachee, il n'est pas expedient que vous facies violence a une si forte impression par aucune sorte de consideration ; car toutes les circonstances, qui d'ailleurs seroyent plus que suffisantes pour me faire conclure avec la chere cousine, n'ont point de poids au prix de cette forte inclination et propension que vous aves ; laquelle, a la verité, si elle estoit foible et debile, [39] seroit peu considerable, mais estant puissante et ferme, elle doit servir de fondement a la resolution.

            Si donq le mary qui vous est proposé est d'ailleurs sortable, homme de bien et d'humeur compatissante, vous pouves utilement l'accepter. Je dis : s'il est d'humeur compatissante, parce que ce manquement de taille requiert cela ; comme il requiert de vous que vous contreschangies ce defaut par une grande douceur, par un sincere amour et par une humilité fort resignee, et bref, que la vraye vertu et perfection de l'esprit couvre universellement la tare du cors.

            Je suis fort pressé, ma chere Fille, et ne puis pas vous dire beaucoup de choses. Je finiray donq, vous asseurant que je vous recommanderay tous-jours a Nostre Seigneur, affin qu'il addresse vostre vie a sa gloire. L'estat de mariage est un estat qui requiert plus de vertu et constance que nul autre ; c'est un perpetuel exercice de mortification, il le sera peut estre a vous plus que l'ordinaire : il faut donq vous y disposer avec un soin particulier, affin qu'en cette plante de thym vous puissies, malgré l'amertume naturelle de son suc, en tirer et faire le miel d'une sainte conversation.

            Qu'a jamais le doux Jesus soit vostre sucre et vostre miel, qui rende suave vostre vocation ; qu'a jamais il vive et regne en nos cœurs. Je suis en luy,

Vostre tres affectionné serviteur,

F.

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MCMXCIX. A la même. Heureux vent qui mène au port. — Sous quelle condition nous donner à Dieu. — Un sentiment qu'il faut faire croître jusqu'à maturité. — Les merveilles des noces de Cana

 

            J'ay donq appris, par la bouche de la chere cousine, en combien de façons Nostre Seigneur avoit tasté vostre cœur et essayé vostre fermeté, ma tres chere Fille. Or [40] sus, il se faut saintement animer et renforcer entre toutes ces vagues. Beni soit le vent, d'ou qu'il vienne, puisqu'il nous fera surgir a bon port.

            Voyla, ma tres chere Fille, les conditions avec lesquelles nous nous devons donner a Dieu : c'est que, soudain, il fasse sa volonté de nous, de nos affaires et de nos desseins, et qu'il rompe et desfasse la nostre ainsy qu'il luy plaira. O qu'heureux sont ceux que Dieu manie a son gré et qu'il reduit sous son bon playsir, ou par tribulation ou par consolation ! Mais pourtant, les vrays serviteurs de Dieu ont tous-jours plus estimé le chemin de l'adversité, comme plus conforme a celuy de nostre Chef, qui ne voulut reuscir de nostre salut et de la gloire de son nom que par la croix et les opprobres.

            Mais, ma tres chere Fille, connoisses vous bien en vostre cœur ce que vous m'escrives, que Dieu, par des voyes espineuses, vous conduit a une condition qui vous avoit esté offerte par des moyens plus faciles ? car si vous avies cette connoissance, vous caresseries infiniment cette condition que Dieu a choysie pour vous, et l'aymeries d'autant plus que non seulement il l'a choysie, mais il vous y conduit luy mesme, et par un chemin par lequel il a conduit tous ses plus chers et grans serviteurs. Suppliés le que ce sentiment qu'il vous donne ne perisse point, mais qu'il croisse jusques a sa parfaite maturité.

            Pour moy, je benis vostre chere ame que Nostre Seigneur veut pour soy, et ay pour vous tout le saint amour qui se peut dire. La chere cousine est tendre en cette affection, et a un cœur parfaitement vostre.

            Cet espoux de Cana en Galilee fait le festin de ses noces, et croit d'estre l'espoux ; mais il est trop plus heureux, car Nostre Seigneur luy donne le change, et convertissant son eau en tres bon vin, il se rend Espoux luy mesme et fait l'ame de ce pauvre premier espoux son espouse ; car, soit que ce fust saint Jean l'Evangeliste ou quelque autre, estant non a la veille, mais au jour de son mariage, Nostre Seigneur l'emporte a sa suite, il ravit a soy sa chaste ame et le rend son disciple ; et l'espouse, voyant que ce Sauveur pouvoit avoir plusieurs espouses, voulut [41] estre du nombre. Et pour une seule noce de vin failly, en voyla deux excellentes ; car les ames, tant de l'un que de l'autre, s'espousent a Jesus Christ. C'est ainsy qu'on lit cet Evangile, et il m'est venu au cœur de vous dire cette pensee. Bienheureux sont ceux qui changent ainsy leurs eaux en vin ! mais il faut que ce soit par l'entremise de la tressainte Mere.

            Je la supplie de vous donner a jamais sa douce et maternelle protection. Je suis en elle,

Vostre tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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MM. A une demoiselle. En quel temps se donner à Dieu. — Rapidité des années ; leur prix infini. — La prière d'un Saint pour sa fille spirituelle

 

31 décembre.

 

            Madamoyselle,

 

            Je prie Nostre Seigneur d'avoir aggreable que vous le servies uniquement, parfaittement, et en l'estat auquel vous n'ayes point necessité de partager vostre cœur. Je pense qu'en fin vous en viendres la et que cette resolution vous arrivera ; mays je voudrois que ce fust bien tost, affin que vous eussies la consolation d'avoir fait vous mesme l'eslection en un tems auquel probablement vous en pourries faire une autre.

            Or sus, ma Fille, me treuvant au fin bout de cette annee avec cette commodité de vous escrire, je l'ay voulu employer pour vous tesmoigner que, commençant la prochaine annee suivante, je supplieray sa divine Majesté [42] qu'elle la vous rende toute pleyne de ses sacrees benedictions. Que les annees sont courtes, ma chere Fille ! les voyla qu'elles s'enfuyent toutes l'une apres l'autre et nous emportent avec elles a nostre fin. Qu'elles sont neanmoins pretieuses, puisque nous pouvons, en la moindre partie d'icelles, acquerir la tressainte eternité.

            Vives joyeuse, ma Fille, et conserves a ce Sauveur vostre cœur, pour lequel, des sa tendre enfance, il a respandu son sang salutaire. Je persevere a prier Nostre Seigneur pour vostre consolation, ou plustost, que luy mesme soit et vostre consolation et vostre Consolateur, et que luy seul possede vostre cœur, et vostre cœur son saint amour.

FRANÇS, E. de Geneve.

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MMI. A une inconnue. La considération de Jésus crucifié pour l'âme chrétienne. — Combien fades les niaiseries des amours profanes. — La guerre et la paix. — En quoi consiste la vraie paix. — Pourquoi le Fils de Dieu a voulu naître en ce monde.

 

            Mon Dieu, ma tres chere Fille, que j'ayme vostre cœur, puisqu'il ne veut plus rien aymer que son Jesus et pour [43] son Jesus ! Helas ! se pourroit il bien faire qu'une ame qui considere ce Jesus crucifié pour elle, peust aymer quelque chose hors d'iceluy, et qu'apres tant de veritables eslancemens de fidelité qui nous ont si souvent fait dire, escrire, chanter, aspirer et souspirer : VIVE JESUS ! nous voulussions, comme des Juifz, crier : Qu'on le crucifie, qu'on le tue en nos coeurs ? O Dieu, ma Fille, je dis ma vraye Fille, que nous serons fortz si nous continuons a nous entretenir liés l'un a l'autre par ce lien teint au sang vermeil du Sauveur ! car nul n'attaquera vostre cœur qu'il ne treuve de la resistance et de vostre costé et du costé du mien, qui est tout dedié au vostre.

            Je l'ay veuë cette chetifve lettre. Les iniques, dit David, m'ont raconté leurs niaiseries ; mais cela n'est point comme vostre loy. O Dieu, que cela est fade au prix de ce sacré divin amour qui vit en nos cœurs !

            Vous aves rayson : puisqu'une fois pour toutes vous aves declairé les resolutions invariables de vostre esprit, et qu'il fait le fin a ne les vouloir pas advoüer, ne respondes plus pas un seul mot jusques a ce qu'il parle autrement ; car il n'entend pas le langage de la Croix, ni nous aussi celuy de l'enfer.

            Vous aves rayson encor de recevoir ce peu de paroles que je vous dis avec tendreté d'amour ; car l'affection que j'ay pour vous est plus grande et plus forte que vous ne penseries jamais.

            Vous vous res-jouisses dequoy la fille fascheuse vous a laissee. Il faut qu'un soldat ayt beaucoup gaigné en la guerre quand il est bien ayse de la paix. Jamais nous n'aurons la parfaite douceur et charité si elle n'est exercee entre les repugnances, aversions et desgoustz. La vraye paix ne gist pas a ne point combattre, mais a vaincre : les [44] vaincus ne combattent plus, et neanmoins ilz n'ont pas la vraye paix. Or sus, il se faut grandement humilier dequoy nous sommes encor si peu maistres de nous mesmes et aymons tant l'ayse et le repos.

            L'Enfant qui nous va naistre n'est pas venu pour se reposer ni avoir ses commodités, ni spirituelles ni temporelles, ains pour combattre et pour se mortifier et mourir. Or sus donq, de rechef, puisque nous n'avons point de courage, ayons au moins de l'humilité.

            Je vous verray bien tost. Tenes bien prest sur le bout de vos levres ce que vous aures a me dire, affin que, pour peu de loysir que nous ayons, vous le puissies respandre dans mon ame. Ce pendant, presses bien ce divin Poupon sur vostre cœur, affin de pouvoir, avec cette ame outree de l'amour celeste, souspirer ces sacrees paroles d'amour : Mon Bienaymé est a moy, et je suis toute a luy ; il demeurera emmi mes mammelles.

            Ainsy soit il, ma tres chere Fille ; que ce divin Amour de nos cœurs soit a jamais sur nostre poitrine, pour nous enflammer et consommer de sa grace. Amen.

FRANÇS, E. de Geneve.

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MMII. A une dame. Réciprocité d'affection. — « Un cœur de père qui tient un peu du cœur de mère. » — En quelle école se perfectionnent nos âmes. — Rosiers spirituels

 

            Si Nostre Seigneur vous donne quelque contentement, ma tres chere Fille, en la veritable et nompareille dilection qu'il a mise dans mon cœur pour le vostre, j'en benis son saint nom et en remercie sa Providence, vous asseurant fort fidelement que ce m'est une consolation toute particuliere de sçavoir que, reciproquement, vostre ame cherisse puissamment la mienne de cet amour sacré que la divine Bonté peut donner ; et si, pour tout cela, je ne [45] veux pas vous prier de le me continuer, sçachant bien qu'il est imperissable, comme le motif duquel il prend sa force.

            Or sus, mais parmi tout cela, je ne suis pas sans estre touché de sçavoir que vous n'estes pas sans varietés d'amertumes interieures, bien que je sache aussi, qu'estant ce que vous estes a Nostre Seigneur, vostre amertume ne peut estre qu'en paix et que l'amour soulage vostre douleur ; car vrayement j'ay un certain cœur de pere, mays qui tient un peu du cœur de mere. J'ayme vostre avancement en la solide pieté, et cet avancement requiert des difficultés, affin que vous soyes exercee en l'eschole de la Croix, en laquelle seule nos ames se peuvent perfectionner ; mais je ne me puis empescher des tendretés maternelles qui font desirer les douceurs pour les enfans. Soyes seulement courageuse, ma tres chere Fille. Il n'est pas des rosiers spirituelz comme des corporelz : en ceux ci, les espines durent et les roses passent ; en ceux la, les espines'passeront et les roses demeureront.

            Je remercie infiniment madamoyselle N. de la charité qu'elle me promet. O qu'elle sera genereuse si elle s'unit a Celuy qui, pour s'unir a nous, descendit du Ciel en terre, et, pour nous tirer a sa gloire, embrassa nostre abjection !

            Ma tres chere Fille, le porteur qui m'a apporté vostre lettre ne me donne que des momens pour vous escrire ; c'est pourquoy je finis, vous dediant en Nostre Seigneur tout mon cœur et mes affections.

FRANÇS, E. de Geneve. [46]

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MMIII. A une cousine. Le courage vaut mieux que la consolation. — Exemple de Rébecca. — Vocation divine et guide céleste

 

            Ma tres chere Seur, ma Cousine et ma plus chere Fille,

 

            Venes en la montaigne que Dieu vous monstrera, pour y consacrer ces petitz momens de vie qui vous restent, en faveur de la tressainte eternité qui vous est preparee.

            Ne vous mettes point en peyne dequoy vous n'aves pas les sentimens de devotion et consolation presentement ; car le courage fort que vous aves vaut mieux que tout cela. Penses vous pas que la pauvre jeune et belle Rebecca pleura bien fort lhors qu'elle se separa de son pere, sa mere et son païs ? mais, parmi tout cela, elle ne laissa pas de dire courageusement : J'y iray ; et elle fut digne d'estre espouse d'Isaac. Quittés ces empressemens et achevés vos affaires en tranquillité, comme voyant Nostre Seigneur a vostre costé qui vous ayde a les faire.

            Je prieray, quoy que indignement, pour N. N., et les serviray par tout ou je pourray.

            Dieu, de sa main toute puissante, vous veuille retirer a soy et vous amener au lieu auquel il vous a appellee ; l'Ange qui vous a assistee en vos resolutions soit luy [47] mesme vostre guide en l'execution. Je suis sans fin, ma tres chere Fille,

Vostre plus humble cousin et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

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MMIV. A une novice de la Visitation. Reconnaissance envers Dieu pour le bienfait de la vocation religieuse. — Une affection puisée au Calvaire par la Sainte Vierge, et par elle répandue dans le cœur de ses vraies filles

 

            Dieu veuille recevoir en sa main dextre vostre esprit que vous luy presentes, ma tres chere Fille, et vous face saintement continuer a le servir en cette Congregation a laquelle il luy a pleu vous faire entrer. C'est a luy, ma tres chere Fille, que vous en deves le remerciement, qui vous y a puissamment attiree, et a tourné les cœurs de ces cheres Seurs devers le vostre et le vostre devers le leur, et tous ensemble devers la Croix et sa Mere tressainte.

            Vives ainsy, ma tres chere Fille ; demeures en ce point, et aymes cette sainte simplicité, humilité et abjection que la divine Sagesse a tant estimee, qu'elle a laissé pour un tems l'exercice de sa royauté pour prattiquer celuy de la pauvreté et abbaissement de soy mesme jusques au signe et periode de la croix, ou sa Mere ayant puisé cette affection, elle l'a respandue par apres dans le cœur de toutes ses vrayes filles et servantes. Pour cela, ma tres chere Fille, vostre gloire soit a jamais en la Croix de Celuy sans la Croix duquel nous n'aurions jamais la gloire.

            A Dieu soyons nous a jamais. Amen. Je suis parfaitement tout vostre. [48]

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MMV. A une Religieuse de la Visitation. Exposé dogmatique sur le mystère de la Sainte Trinité. — Exemple tiré de l'âme humaine. — L'Incarnation : suite de la précédente comparaison. — Universalité de la présence divine. — Notre-Seigneur sur la route d'Egypte. — Les deux natures du Christ. — Le fer enflammé. — Un peu de jour sur un abîme

 

Vers le 25 décembre.

 

            Ma chere Fille,

 

            Le premier, principal et fondamental article de foy, c'est de croire qu'il n'y a qu'un tres unique et tres vray Dieu. Le second article principal, c'est que ce seul vray Dieu est Pere, Filz et Saint Esprit : dont le Pere est la premiere Personne de la tressainte Trinité, le Filz la seconde et le Saint Esprit la troysiesme ; en sorte que les troys Personnes ne sont pas plusieurs dieux, ains un seul vray Dieu, bien que l'une des Personnes ne soit pas l'autre. Car le Pere n'est pas le Filz, ni le Filz n'est pas le Saint Esprit : d'autant que, encor que le Pere ne soit pas un autre Dieu que le Filz et le Saint Esprit, il est neanmoins une autre Personne ; et de mesme, le Filz n'est pas un autre Dieu que le Pere et le Saint Esprit, ains seulement une autre Personne ; et le Saint Esprit n'est pas un autre Dieu que le Pere et le Filz, ains seulement une autre Personne.

            La difficulté consiste a bien entendre ceci, et il se peut aucunement comprendre par cet exemple : vous n'aves qu'une ame, ma chere Fille, et neanmoins cette ame est entendement, memoire et volonté. Vostre entendement n'est pas memoire, car il y a beaucoup de choses que vous entendes, desquelles vous ne vous resouvenes pas quelque [49] tems apres ; vostre entendement et vostre memoire ne sont pas vostre volonté, car il y a beaucoup de choses que vous entendes et desquelles vous aves memoire, lesquelles vous ne voules pas, comme sont les pechés, que vous detestes. Vostre ame donq est une toute seule ; ses puissances sont troys : entendement, memoire, volonté. Et bien que l'une des puissances ne soit pas l'autre, si est ce que toutes troys ne sont qu'une seule ame : l'entendement estant ame, la memoire ame, la volonté ame, et non troys ames, ains une ame ; et bien que ce ne soit qu'une ame, si est ce que cette ame, en tant qu'entendement n'est pas memoire, en tant que memoire n'est pas volonté.

            Ainsy, il n'y a qu'un seul Dieu en troys Personnes, desquelles troys l'une n'est pas l'autre, et toutes troys ne sont qu'un seul Dieu ; en sorte que le Pere est Dieu, le Filz est Dieu, le Saint Esprit est Dieu, et non troys dieux, mais un seul Dieu ; parce que, encor qu'il y ayt troys Personnes, toutes troys ensemble n'ont qu'une seule et unique Divinité : comme, encor qu'il y ayt troys puissances en nostre ame, toutes troys neanmoins ne sont qu'une seule ame.

            Or Dieu, qui n'est qu'un en Divinité ou nature divine, apres avoir creé le monde, et long tems apres, c'est a dire environ cinq mille ans apres la creation, prit la nature humaine, joignant l'humanité a sa Divinité au ventre de la Vierge, et par ce moyen il se rendit homme ; car, comme ayant la Divinité il est Dieu, aussi ayant l'humanité il est homme. Mais il faut noter, qu'encor que ce soit le seul unique vray Dieu qui ayt pris nostre humanité, si est ce qu'il ne l'a prise en la Personne du Pere, ni en la Personne du Saint Esprit, ains seulement en la Personne du Filz. Comme si je disois que vostre ame a pris la connoissance d'escrire, je ne dirois pas pour cela que c'est vostre volonté qui a pris cette connoissance, car ce n'est pas la volonté qui connoist, c'est l'entendement ; et neanmoins, l'entendement et la volonté ne sont qu'une seule ame. De mesme, je dis vray quand je dis que vostre ame agit dedans vostre cœur et dedans vostre cerveau ; [50] et neanmoins, au cœur elle agit par la volonté et l'amour, et au cerveau elle agit par l'entendement et la connoissance. Et encor que ce ne soit qu'une seule ame, neanmoins l'une des facultés agit en un endroit ou l'autre n'agit pas. Ainsy, le seul Filz est incarné, et non le Pere ni le Saint Esprit, bien que le Pere, le Filz et le Saint Esprit ne soyent qu'un Dieu.

            Il faut encor sçavoir que le Pere, le Filz et le Saint Esprit, un seul vray Dieu, sont par tout et totalement par tout le monde, comme vostre ame est par tout vostre cors ; mais parce qu'au Ciel sa divine Majesté se manifeste plus clairement, nous imaginons plus facilement sa presence au Ciel.

            Maintenant donq, ma chere Fille, quand vous vous representies Nostre Seigneur revenant d'Egypte, vous consideries Dieu le Filz, lequel, bien qu'il fust par tout, selon qu'il est Dieu, estoit neanmoins par les chemins, en travail, selon qu'il est homme. Quand vous vous representies Dieu le Pere au Ciel, vous le consideries selon la commune imagination qui le represente plustost au Ciel qu'en terre. Et quand vous vous representies que le Pere et le Filz estoyent deux, vous pensies la verité ; car ce sont deux Personnes, encor qu'ilz ne soyent qu'un seul Dieu ; quand vous disies qu'ilz n'estoyent qu'un, vous disies bien aussi, car ilz ne sont qu'un seul Dieu et tres unique, bien qu'ilz soyent deux Personnes.

            Mais il y a de plus : c'est que vous consideries Nostre Seigneur en tant qu'homme, et, en cette sorte, il est vrayement different d'avec le Pere en nature ; car le Pere n'est pas homme, ains seulement Dieu. Et le Filz est Dieu, et un mesme Dieu avec le Pere et le Saint Esprit ; mays, outre cela, il est vray homme, ayant deux natures : l'une divine, qui est celle-la mesme du Pere et du Saint Esprit, l'autre humaine, qu'il a prise au ventre de la Vierge ; comme nous avons deux natures, l'une spirituelle qui est nostre ame, l'autre corporelle qui est la chair. Et comme le fer enflammé a la nature du fer et celle du feu, et peut estre dit fer et feu tout ensemble, ainsy Nostre Seigneur ayant saysi la nature humaine comme le feu [51] saysit le fer, il est vrayement Dieu a rayson du feu de la Divinité, et vrayement homme a rayson du fer de l'humanité. Et comme le fer ne laisse pas d'estre fer, et pesant, et massif, et ferme, et dur, pour estre enflammé, et que le feu ne laisse pas d'estre feu, chaud, lumineux, ardant, pour estre enferré, ainsy l'humanité de Nostre Seigneur ne laissa pas d'estre petite, et tendre, et gemissante, et frileuse en la cresche de Bethlehem, encor qu'elle fust jointe a la Divinité ; et la Divinité ne laisse pas d'estre toute puissante, toute glorieuse, pour estre jointe a l'humanité.

            Ma chere Fille, je ne pense pas, non, vous avoir declairé l'affaire ; car c'est un abisme lequel il faut regarder simplement et humblement, sans se beaucoup tourmenter pour l'entendre. Il suffit que vostre meditation alloit bien, et que Nostre Seigneur a plus aggreable vostre simplicité que la science de ceux qui pensent beaucoup estre. Si vous n'entendes pas cette lettre, ne vous fasches pas : je l'ay seulement escritte pour vous donner un peu de jour, et non pas le jour du midy que nous aurons en Paradis.

            Bon soir, ma chere Fille ; faites devotement les festes aupres de ce vray Dieu petit Enfant, auquel je suis tout vostre.

FRANÇS, E. de Geneve.

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MMVI. A une religieuse. Quel sujet de lettres entre le saint Directeur et sa fille spirituelle. — D'où viennent les larmes de dévotion et la sécheresse. — Le bouquet à odorer le long du jour. — Ne pas souhaiter les persécutions, mais exercer sa fidélité dans les occasions présentes.

 

            Mon Dieu, ma chere Fille, je ne treuve nullement estrange que vous desiries de mes lettres ; car, outre ce [52] que Dieu le veut bien (qui est le grand mot de nostre commerce), je sens tant de consolation de vostre communication que je croy aysement que vous en aves un peu de la mienne. Et ne faut point attendre d'autre sujet, ni pour vous ni pour moy, que celuy d'une sainte conversation spirituelle entre nos ames et de la contribution que nous nous devons les uns aux autres de nos consolations.

            Je ne dis rien, ma bonne Fille, de vostre cœur en ce que vous n'aves pas des larmes. Non, ma Fille, car le pauvre cœur n'en peut mais, puisque cela n'arrive pas faute de resolutions et vives affections d'aymer Dieu, mays faute de sensible passion, laquelle ne depend point de nostre cœur, mais d'autre sorte de dispositions que nous ne pouvons procurer ; car tout ainsy, ma chere Fille, qu'en ce monde il n'est pas possible que nous puissions faire pleuvoir quand nous voulons, ni empescher qu'il ne pleuve quand nous ne voulons pas qu'il pleuve, aussi n'est il pas a nostre pouvoir de pleurer quand nous voulons, par devotion, ni de ne pleurer pas aussi quand l'impetuosité nous saysit. Cela ne vient pas de nostre faute le plus souvent, mays de la providence de Dieu, qui nous veut faire faire nostre chemin par terre et par desert, et non par eaux, et veut que nous nous accoustumions au travail et a la dureté.

            Tenés vostre bouquet en main, mais s'il se presente quelque autre odeur souëfve et profitable par rencontre, ne laissés pas de l'odorer avec action de grace ; car le bouquet ne se prend sinon que pour ne vous laisser pas le long du jour sans confort et playsir spirituel. Tenes bien ferme sur cette posture, que vostre cœur soit bien entierement a Dieu ; car il n'y en a point de meilleure.

            Pour tout, ne souhaites pas des persecutions pour l'exercice de vostre fidelité, car il vaut mieux attendre celles que Dieu vous envoyera que d'en desirer ; et si, vostre fidelité a mille sortes d'autres exercices : en l'humilité, douceur, charité au service de vostre pauvre malade, mays [53] service cordial, amoureux et affectionné. Dieu vous donne un peu de loysir pour faire vos provisions de patience et vigueur, puis le tems viendra de les employer.

            O ma Fille, ostés bien toutes les robbes de vostre captivité par des continuelz renoncemens a vos affections terrestres ; et ne dites point que le Roy ne vous en donne des royales pour vous tirer a son saint amour. VIVE JESUS ! ma tres chere Fille ; c'est le mot interieur sous lequel il nous faut vivre et mourir, et avec lequel je proteste d'estre tous-jours tout vostre.

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MMVII. A une Religieuse. Dieu, bon à tous. — Nos souffrances comparées à celles de Notre-Seigneur. — Mourir pour que Jésus vive. — Courage et sainte joie. — Regard sur l'éternité

 

            Dieu vous est donq bon, ma chere Fille, n'est il pas vray ? mais a qui ne l'est il pas, ce souverain Amour des cœurs ? Ceux qui le goustent ne s'en peuvent assouvir, et ceux qui s'approchent de son cœur ne peuvent contenir les leurs de le benir et loüer a jamais.

            Gardés ce saint silence que vous me dites, car vrayement il est bon d'espargner nos paroles pour Dieu et pour sa gloire. Dieu vous a tenue de sa bonne main en vostre affliction ; or sus, chere Fille, il faut donq tous-jours faire ainsy. Mon Dieu, disoit saint Gregoire a un Evesque affligé, comme se peut il faire que nos cœurs, qui sont meshuy au Ciel, soyent agités des accidens de la terre ? C'est bien dit : la seule veuë de nostre cher Jesus crucifié peut addoucir en un moment toutes nos douleurs, qui ne sont que des fleurs en comparayson de ses espines. Et puis, nostre grand rendes vous est en cette eternité, au prix de laquelle que peut sur nous tout ce qui se finit par le tems ?

            Continues, ma Fille, a vous unir de plus [en plus] a ce Sauveur ; abismés vostre cœur en la charité du sien, et disons tous-jours de tout nostre cœur : Que je meure, et [54] que Jesus vive ! Nostre mort sera bien heureuse si elle se fait en sa vie. Je vis, dit l'Apostre ; mais il s'en repent : non, je ne vis plus en moy, mais mon Jesus vit en moy.

            Benite soyes vous, ma chere Fille, de la benediction que la Bonté divine a preparee aux cœurs qui s'abandonnent en prove a son saint et sacré amour. Et courage, chere Fille, Dieu nous est bon ; que tout nous soit mauvais, que nous en doit il chaloir ? Vivés joyeuse aupres de luy ; c'est en luy que mon ame est toute dediee a la vostre. Les annees s'en vont et l'eternité s'approche de nous : que puissions nous tellement employer ces ans en l'amour divin, que nous ayons l'eternité en sa gloire ! Amen.

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MMVIII. A une Religieuse (Fragment). Suivre les attraits de Dieu dans l'oraison. — Quelle est la plus fructueuse

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Si vous savoures vostre point en l'orayson, c'est un signe que Dieu veut que vous suivies cette methode, du moins alhors. Que si neanmoins Dieu nous tire, au commencement de l'orayson, a la simplicité de sa presence et que nous nous y treuvions engagés, ne la quittons pas pour retourner a nostre point ; estant une regie generale que tous-jours il faut suivre ses attraitz et se laisser aller ou son Esprit nous mene.

            Les bouillonnemens et dilatemens du cœur ne peuvent quelquefois estre evités ; mais quand on s'apperçoit de leur venue, il est bon d'addoucir ces mouvemens et les appayser, en debandant un peu l'attention ou les eslans, d'autant que l'orayson, plus elle est tranquille, simple et delicate, c'est a dire, plus elle se fait en la pointe de l'esprit, plus elle est fructueuse.

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FRANÇS, E. de Geneve. [55]

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MMIX. A une religieuse. Les communications spirituelles plus aisées de vive voix que par écrit. — Pourquoi nos inclinations naturelles sont précieuses. — Dresser ses batteries du côté où l'ennemi nous attaque. — Comment vivre devant Dieu, avec le prochain et avec nous-même.

 

            Une autre fois, il vous faut bien tenir vostre cœur ouvert et sans aucune sorte d'apprehension, car il vous sera bien plus utile de conferer bouche a bouche que par escrit.

            Ces inclinations que vous aves sont pretieuses occasions que Dieu vous donne de bien exercer vostre fidelité en son endroit, par le soin que vous aures de les reprimer. Faites aboutir vos oraysons es affections qui leur sont contraires, et soudain que vous sentires d'avoir fourvoyé, repares la faute par quelque action contraire de douceur, d'humilité et de charité envers les personnes ausquelles vous aves repugnance d'obeir, de vous sousmettre, de souhaitter du bien et d'aymer tendrement ; car en fin, puisque vous connoisses de quel costé vos ennemis vous pressent le plus, il vous faut roidir et vous bien fortifier et tenir garde en cet endroit la. Il faut tous-jours baisser la teste, et vous porter au rebours de vos coustumes ou inclinations, recommander cela a Nostre Seigneur, et en tout et par tout vous addoucir, ne pensant presque a autre chose qu'a la pretention de cette victoire.

            De ma part, je prieray Nostre Seigneur qu'il la vous donne et le triomphe de son saint Paradis. Il le fera, ma chere Fille, si vous perseveres a la poursuite de son saint amour, avec le soin que vous aves de vivre humblement devant luy, amiablement envers le prochain et doucement envers vous mesme. Et moy je seray tous-jours fort cordialement vostre.

FRANÇS, E. de Geneve. [56]

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MMX. A une Religieuse de l'abbaye de Sainte-Catherine. Les aulx et les oignons du monde, et la délicieuse manne de notre Sauveur. — A quelles conditions François de Sales approuve « le peu parler. » — L'exercice de l'abnégation spirituelle. — Contemplation du mystère de la Présentation de Jésus au Temple. — Mettre le Sauveur « sur son throsne d'ivoyre ». — Une obédience imposée au saint Évêque.

 

3 février.

 

            Vous me dites, ma tres chere Fille, que ces attendrissemens au grand et irrevocable adieu que nous avons dit au monde sont passés. C'est bien dit, ma Fille : laissons-le la, ce monde, pour rien qui vaille. Ah ! qu'a jamais cette Egypte, avec ses aulx, ses oignons et ses chairs pourries nous soyent a desgoust, pour savourer tant mieux la delicieuse manne que nostre Sauveur nous donnera emmi le desert ou nous sommes entrés. Et, vive donq, et regne Jesus !

            Vous desires de ne mentir point : c'est un grand secret pour attirer l'Esprit de Dieu en nos entrailles. Seigneur, qui habitera en vos tabernacles ? dit David. Celuy, respond il, qui parle la verité de tout son cœur. J'appreuve bien le peu parler, pourveu que ce peu que vous parleres se face gratieusement et charitablement, et non point melancholiquement ni artificieusement. Ouy, parles peu et doux, peu et bon, peu et simple, peu et rond, peu et amiable.

            Ma Fille, il faut de tems en tems vous exercer a cette abnegation et nudité, et la demander a Dieu en tous vos exercices ; mais quand il vous arrivera quelque autre trait d'amour, d'union envers Dieu et de confiance, il faut les [57] bien exercer, sans les troubler par l'abnegation, a laquelle vous laisseres sa place a la fin et en son lieu.

            Que de douceurs hier, a considerer cette belle accouchee, avec le petit Poupon pendu a sa mammelle, qu'elle va presenter au Temple, et avec cette paire de colombes, plus heureuses, ce ine semble, que les plus grans princes du siecle, d'avoir esté sacrifiees pour le Sauveur. Ah ! qui nous fera la grace que nos cœurs le soyent aussi un jour ! Mais ce Simeon n'est il pas bien glorieux d'embrasser cet Enfant divin ? Ouy, mais je ne luy peux sçavoir gré du mauvais tour qu'il nous vouloit faire, car estant hors de soy mesme, il le vouloit emporter avec soy en l'autre monde : Maintenant, dit il, laisses aller vostre serviteur en paix. Helas ! ma Fille, mais nous en avions encor besoin, nous autres. Embrassons le, vivons et mourons en ses doux embrassemens.

            Mettes ce doux Jesus sur vostre cœur comme un Salomon sur son throsne d'ivoyre ; faites souvent aller vostre ame aupres de luy, comme une reyne de Saba, pour oüyr les sacrees paroles qu'il inspire et respire perpetuellement. Mais voyes vous, ce cœur doit estre d'ivoyre en pureté, en fermeté, en secheresse ; desseché des humeurs du monde, ferme en ses resolutions, pur en ses affections.

            Je ne vay pas, ma tres chere Fille, la part ou l'on vous avoit dit, car je vis encor en obedience qui m'est imposee, non de la part de Dieu, mais du monde, permise neanmoins de sa divine Providence : c'est pourquoy j'y acquiesce.

            Vives toute pour Celuy qui, pour estre tout nostre, s'est fait petit Enfant. Je suis en luy, tout vostre.

FRANÇS, E. de Geneve. [58]

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Lettres découvertes après l'impression des volumes précédents

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MMXI. A un cousin (inédite). François de Sales se rappelle au souvenir de son cousin sans se reconnaître d'autre titre à ce bonheur que son affection.

 

Thonon, 19 mars 1596.

 

            Monsieur,

 

            Je ne vivrois pas a mon gré par deça si je ne vis par dela en vostre souvenance. Si aurois je occasion de craindre que n'y languissies, si vous n'avies infiniment plus de courtoisie que je n'ay de merite. Au moins ay je asses de discretion pour me contenter si vous vous en souvenes par fois, a tems perdu. Et, a parler realement, encores aves vous quelque devoir de priser l'affection que j'ay, aussy grande que la valeur des plus grans, de meriter d'estre ce que ne pouvant meriter je ne laisse pas,

            Monsieur,

Vostre tres humble cousin et serviteur,

FRANÇOIS DE SALES, prestre.

            Le 19 mars 96.

 

Revu sur une ancienne copie qui se conservait à Belley, chez les RR. PP. Maristes. [59]

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MMXII. A Monsieur Claude Marin, procureur fiscal en Chablais (Fragment). Audience et promesses du duc de Savoie.

 

Chambéry, 3 août 1598 .

 

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            La bonté de Son Altesse Serenissime a esté si grande qu'elle a desrobbé un moment de loysir pour me donner une petite audience. Elle m'en a promis une plus grande a Thonon, et d'estre favorable a tous nos convertis, notamment aux pauvres…

 

Revu sur un ancien Manuscrit de l'Année Sainte de la Visitation, conservé au Monastère d'Annecy. [60]

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MMXIII. Au Chanoine Jacques de Médio (Inédite). Une station d'Avent et de Carême à Lyon que le Saint ne peut accepter. — Bulles attendues. — Difficulté pour faire parvenir à Paris deux mille écus ; prière au destinataire de s'employer à cette affaire.

 

Sales, 26 octobre 1602.

 

            Monsieur,

 

            Je receuz nagueres un billiet de vous par lequel vous m'advertissies de la reception de nostre coffre et du moyen que vous estimies propre pour le nous faire tenir ; dequoy je vous remercie affectionnement.

            Vous m'escrivies aussi que Messieurs de Sainte Croix persistoyent a me desirer pour l'Advent et Caresme ; mais la necessite de ma præsence de deça persiste tellement a m'obliger, que non obstant l'extreme dasir que j'aurois de rendre service a ces seigneurs, je ne puis neanmoins m'en promettre la commodité et ne sçaurois le leur rendre en ceste occasion.

            J'attens de jour a autre ce quil me faut de Romme [61] pour prendre la possession de l'Evesché, et tout aussi tost que je l'auray receu, vous en aures, Dieu aydant, advis.

            Maintenant, voyci un autre affaire auquel je vous supplie de vous employer soigneusement a vostre accoustumee. Nous devons faire tenir a Paris deux mille escus pour une partie du payement de Thorens. Icy nous avons si peu de commodité quil nous a fallu partager la somme pour la faire tenir a Lion ; de maniere que pour cest'heure nous faisons tenir cinq cens escus par une commodité, et dans trois jours, Dieu aydant, le reste par un' autre commodité. Je vous supplie donques de prendre la peyne d'aller treuver la femme de monsieur Mermet, contrerolleur de la maison de Monseigneur de Nemours, et de l'assister en ce qu'elle fera delivrer cinq cens escus au seigneur Mascarani pour faire tenir [62] a Lumagues dans Paris. Faittes moy cest office, sil vous plait, en attendant d'en faire bien tost apres tout autant pour les quinze cens escus qui restent.

            Je vous sallue bien humblement, et prie Nostre Seigneur quil vous doint, Monsieur, en santé, heureuse et longue vie.

Vostre bien humble serviteur,

FRANÇS DE SALES, Esleu Ev. de Geneve.

            De Sales, le 26 octobre 1602.

 

             A Monsieur

Monsieur de Medio, chanoyne de St Nisier.

                                   A Lyon.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la baronne de Bleul, à Wiesbaden (Allemagne). [63]

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MMXIV. A l'Empereur d'Allemagne, Rodolphe II (Inédite). Accusé de réception d'une lettre de l'Empereur. — l'Eglise de Genève dépouillée de toutes ses ressources par les hérétiques. — Un vœu de son Prince-Evêque.

 

Sales, 21 novembre 1602.

 

            Invictissimo et potentissimo Rudolpho secundo,

            Imperatori Romanorum augustissimo,

            Jesu Christi salutem et gratiam.

 

            Accepi litteras quibus me sacra Vestra Cæsaræa Majestas dignata est, non sine ea quam tanto culmini debeo reverenda. Ac sane, si meum erga sacram Coronam Vestram animum æquarent vires et census, non committerem quin omnes cæteros Imperio addictos Principes et Episcopos factis pariter et opere æquarem.

            Verum, cum hæreticorum tirannide factum sit, ut hæc Ecclesia nostra omnibus sit destituta viribus et opibus quibus antiqui Cæsares, pro sua erga Christum gratitudine, [64] eam ornaverant et cumulaverant, nihil mihi superesse videtur, præter rectam in Deum spem fore ut brevi veniat fœlix ille dies, quo Cæsares, item quorum tot beneficiis Ecclesia hæc constituta fuit, iidem eamdem authoritate et imperio, antiquo splendori restituant.

            Interim autem dum hæc eveniant, Christum optimum maximum impensissime, cum clero et populo nobis commisso præcabimur, ut sacram Cæsaream Majestatem Vestram quam diutissime servet incolumem, et inimicorum ejus elidat superbiam.

            Sacræ Cæsarææ Majestatis Vestræ,

            Obsequentissimus et addictissimus servus,

FRANÇS DE SALES,

Eps et Princeps Gebennensis.

            Thorencii Salesiorum, in agro Gebennensi, 21 Novembris 1602.

            Sacræ Cæsareæ Majestati.

 

Revu sur une copie authentique de l'Autographe conservé à Vienne, Archives Impériales. [65]

 

 

 

            Au très invincible et très puissant Rodolphe second, très auguste Empereur des Romains, salut et grâce en Jésus-Christ.

 

            J'ai reçu avec tout le respect que je dois à une si haute dignité, la lettre dont m'a honoré Votre Majesté impériale et sacrée. Certes, si mes forces et mes biens égalaient mes sentiments envers votre Couronne sacrée, j'égalerais aussi par les actions et par les œuvres tous les autres princes et Evêques soumis à l'Empire.

            Mais, victime de la tyrannie des hérétiques, notre Eglise se trouve dépouillée de toutes les ressources et les richesses dont les anciens Empereurs, dans leur reconnaissance envers le Christ, l'avaient [64] ornée et comblée. Il ne me reste donc rien, sinon la ferme espérance que Dieu fera lever bientôt le jour heureux où les Empereurs, après avoir autrefois fondé cette Eglise par leurs nombreux bienfaits, sauront de nouveau, par leur autorité et leur puissance, la rendre à son antique splendeur.

            En attendant que ce désir se réalise, nous prierons instamment le Christ très bon et très grand, avec le clergé et le peuple à nous confiés, qu'il conserve longtemps saine et sauve Votre Majesté impériale et sacrée, et qu'il confonde l'orgueil de ses ennemis.

            De Votre Majesté impériale et sacrée,

Le très obéissant et très dévoué serviteur,

FRANÇOIS DE SALES,

Évêque et Prince de Genève.

            Thorens-Sales, en Genevois, 21 novembre 1602.

 

            A la sacrée Majesté impériale. [65]

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(CLXVIII). Aux Religieuses du Monastère des Filles-Dieu (Minute). L'amour pour leur Ordre ne doit pas empêcher les Religieux de reconnaître les défauts qui s'y trouvent. — Dieu n'abandonnera pas ses servantes, si elles observent la pauvreté qu'elles ont vouée. — Le centuple promis. — Une bonne méthode, mais qui n'est pas celle de François de Sales. — Remonter à la source pour revenir à la ferveur primitive. — L'ennemi doit être combattu pendant qu'il est petit. — Isaac et Ismael. — Sans la pauvreté, pas de vrai Religieux. — C'est « un grand mal » d'entretenir des imperfections dans une Maison religieuse.

 

Sales, 22 novembre 1602.

 

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Ce n'est pas bien d'être tellement affectionné à son Ordre que l'on en perde les yeux pour voir les choses évidentes. L'amour mondain est aveugle, et s'il ne [66] l'était pas, il n'aimerait pas le monde qui n'a rien de beau ou de bon ; mais l'amour céleste n'est pas aveugle, car il a des lampes et des flammes brillantes, comme dit le Cantique, parmi lesquelles il donne l'esprit de discernement pour séparer le bien du mal. Il faut manger le beurre et le miel pour savoir choisir le bien et rejeter le mal. Les abeilles aiment leurs ruches, mais elles ne laissent pas pour cela de remarquer par le menu ce qui s'y trouve, et de les nettoyer et purger. Rien n'est si constant sous le ciel qui ne fléchisse, ni rien de si pur à quoi la poussière ne s'attache. Est-il quelqu'un qui puisse justement se fâcher contre celui qui lui dit de se laver après avoir été quelque temps sans le faire ? Pourquoi ne pourra-t-on pas dire : réformez-vous, à une Maison qui a passé bien des années depuis sa dernière réforme ? On se garde bien de laisser longtemps une maison sans l'approprier extérieurement ; pourquoi n'en fera-t-on pas de même à l'intérieur ?

            Certes, l'on ne doit pas, sans quelque utilité, dire les manquements qui se voient dans les Maisons, ni [67] les publier ;  mais, de ne pas vouloir les reconnaître ni confesser à qui peut y appliquer les remèdes, c'est une passion et un amour désordonné. L'Epouse au Cantique confesse sans crainte ses imperfections en disant : Je suis noire, encore que belle ; et ailleurs : Ne prenez pas garde à ce que je suis brune. car c'est le soleil qui m'a hâlée. Or je pense que vous pouvez bien en dire autant de votre Maison : elle est belle, c'est vrai ; mais le soleil, c'est-à-dire le temps, la longueur des jours a altéré son teint. Pourquoi donc ne tâcherez-vous pas de lui rendre son ancien lustre, afin que son Epoux puisse dire : Vous êtes toute belle ? Quand les défauts sont momentanés et passagers dans une Maison, c'est bien fait de les dissimuler ; mais quand ils sont à demeure et permanents, il faut les chasser, et meme à cor et à cri s'il en est besoin. Ce fut un amour excessif en David de ne pas vouloir qu'on tuât Absalon, quoiqu'impie et rebelle. Si vous aimez votre Maison, témoignez-le en procurant sa pureté, sa santé, sa réforme.

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            David admirait comme Dieu donne la nourriture [68] aux poussins des corbeaux ; aussi est-ce chose digne d'admiration. Mais pourquoi les nourrit-il, sinon parce que, par la condition de leur nature, ils ne reçoivent pas leur pâture de leurs père et mère qui ne prennent aucun soin de leurs fruits ? Ainsi pourvoira-t-il bien plus ses servantes qui, par la condition de leur profession, se sont vouées à la pauvreté et communauté, sans l'entremise de ces moyens contraires à la pauvreté et à la parfaite communauté. Les Cordeliers de saint François ont cru ne pouvoir vivre en cette étroite pauvreté que leur Règle primitive prescrit ; les Capucins leur ont fait voir le contraire, et de même en doit-on dire de plusieurs autres. Faisons ce que nous devons, et Dieu ne nous manquera pas. Si nous sommes en Egypte, il nous nourrira de la viande que les Egyptiens nous donneront, et si dans le désert, il nous donnera lui-même la manne. C'est l'amour-propre qui, sans raison, nous fait paraître intolérables nos incommodités. Voyez Esaù : pour avoir pris un peu d'appétit en courant après les bêtes fauves, il lui sembla qu'il allait mourir de faim et, sous ce prétexte, vendit son droit d'aînesse. Ne croyez pas à moi, [69] croyez à Notre-Seigneur : si vous abandonnez ces petites pensions particulières et les rendez communes, vous ne mourrez point ; il vous semblera mourir, mais cela ne sera pas ; en échange d'une pension, Dieu vous en donnera cent en ce monde, dit la divine Parole, et la vie éternelle en l'autre. Ou Jésus nous trompe, ou c'est vous qui vous trompez.

             Peut-être est-ce aussi un empêchement à votre réforme qu'elle ait été entreprise trop âprement par ceux qui, jusqu'à présent, vous l'ont proposée, et qui n'ont pas manié doucement la plaie. Mais quoi ? voudriez-vous pour cela rejeter les médicaments ? L'âpreté passe et disparaît avec le commencement de votre guérison. Certes, les chirurgiens sont quelquefois contraints d'agrandir la plaie pour amoindrir le mal, lorsque sous une petite plaie il y a beaucoup d'humeur purulente ou de sang corrompu ; c'est peut-être ce qui les a obligés à toucher sur le vif. Je loue leur méthode parce qu'elle est bonne, bien que ce ne soit pas la mienne, surtout à l'endroit des esprits nobles et bien élevés comme sont les vôtres. Je pense qu'il est mieux de vous montrer que [70] toutes les raisons demandent que vous vous soumettiez à la réforme.

             Rappelez-vous que votre Monastère ne fut pas commencé avec ces pensions, ains avec une très exacte pauvreté. Mes Sœurs, il faut remonter jusqu'à la source de votre Religion et boire en icelle l'eau de votre réformation ; vous y trouverez une eau qui vous fera oublier l'affection que vous avez à ces petites particularités. Regardez à la pierre de laquelle vous avez été tirées, vous n'y verrez aucune paille de propriété. Et cela me fait sembler nécessaire la réforme.

            Je sais bien que vous avez de très grands empêchements ; c'est ce qui me fait pitié et m'oblige à vous écrire, car j'ai certaines considérations lesquelles, à mon avis, pourront vous aider à surmonter les obstacles qui retardent un si grand bien.  Je pense que le plus grand empêchement à votre réforme, c'est de vous imaginer que le mal et le défaut soit petit et léger, ne pouvant [71] guère me [persuader que si vous le jugiez grand vous voulussiez y persévérer et le permettre. Mais pardonnez-moi, je vous prie, vous vous faites un grand tort. Vous ne pouvez nier que ce ne soit un manquement et déchet en la pauvreté et communauté religieuse ; et pour petit qu'il soit, faudra-t-il en négliger l'amendement ? Tout au contraire, il faut le corriger pendant qu'il est petit, car il pourrait arriver que, croissant, il ne soit plus possible de le guérir. L'ennemi doit être combattu pendant qu'il est petit, sans attendre qu'il grandisse. Prenez-moi les petits renardeaux, car ils ruinent les vignes, est-il écrit dans le Cantique des Cantiques. Bienheureux ceux qui jetteront et écraseront contre la pierre la tête des petits de Babylone, disent les enfants d'Israël en un Psaume. Il est aisé de détourner les petits fleuves où nous voulons, mais les grands ne se laissent pas dompter.

             Sara fut sage quand elle jugea qu'il ne fallait pas laisser grandir Ismael avant de le chasser ; aussitôt qu'elle le vit combattre contre Isaac, elle le chassa de la maison d'Abraham. Je tiens votre Maison pour une maison d'Abraham, de ce grand Père qui est dans les Cieux ; il [72] y a une Sara et une Agar, la partie supérieure et l'inférieure. La supérieure engendre le bon Isaac, qui est le vœu volontaire et libre que vous avez fait, comme un sacrifice de vous-mêmes, sur la montagne de la vie religieuse. L'inférieure engendre Ismael, c'est-à-dire le désir et la sollicitude pour les choses extérieures. Or, pendant qu'Ismaël, c'est-à-dire le désir et la sollicitude, n'attaque pas votre vœu, bien qu'il demeure en votre Maison, j'en suis content, et Dieu ne se tiendra pas pour offensé. Mais s'il heurte votre vœu en quelques-unes de ses parties principales, telle que la pauvreté, je vous en supplie et conjure, par l'amour que vous portez à votre Isaac, au vœu et à votre Maison, chassez-le, bannissez-le.  Qu'il soit petit tant que vous voudrez, il ruinera votre Isaac et gâtera votre Maison.  Prenez garde à ces œufs d'aspics ; si vous les couvez en votre sein, ils vous causeront la mort et la perdition. Il ne vous semblera pas qu'il en soit ainsi ; c'est cependant la vérité.  Vous serez moins dignes d'excuse si vous n'êtes pas fidèles dans les petites choses : soyez fidèles dans la réforme de ces petits défauts, et vous serez établies sur beaucoup de choses. [73]

            Considérez néanmoins soigneusement ce qui se passe en votre Maison, et vous ne trouverez pas le mal aussi petit que vous le pensez.  Appelez-vous petit un mal qui gâte une partie noble de votre corps, savoir la sainte pauvreté ? On peut être Religieux sans chanter au chœur, sans porter tel ou tel habit, sans s'abstenir de tel ou tel aliment ; mais sans la pauvreté, nul ne peut être Religieux. Le vermisseau qui endommagea le lierre de Jonas paraissait petit, et cependant, grande était sa malice. L'affection que vous avez à la propriété vous semble aussi petite ; néanmoins, sa malice peut être si grande qu'elle dessèche le bel arbre de votre Monastère  et vous prive du titre de Filles de Dieu. Pour moi, je ne sais aucun ennemi, tant petit soit-il, qui doive être nourri, caressé, et qu'un homme de bon sens ne juge être encore bien grand.

             Les mouches mourantes corrompent la suavité du baume. Si elles ne font que passer sur le baume, bien qu'elles le sucent, elles ne le gâtent pas, mais oui bien si elles y meurent. On dit que les imperfections de votre Maison ne sont que des mouches parce qu'elles sont [74] petites. Je le vois aussi, mais je vois en même temps un grand mal, car elles ne passent pas ; au contraire, elles s'y arrêtent comme mortes, elles y sont entretenues et conservées. Or, qui ne voit que, pour petit que soit le péché, il croît aisément quand on veut le maintenir ? Pour moi je vous exhorte à le juger bien grand, puisqu'il vous prive d'un grand bien, et à le croire une très grande imperfection, puisqu'il vous empêche d'atteindre à une plus haute perfection. Ce proverbe est connu : « Le moine ne vaut pas une obole s'il possède une obole. » Un peu de levain suffit à altérer toute la pâte, dit le Sauveur . Il ne restait aux Apôtres qu'à se laver les pieds, et pourtant le Seigneur prononça qu'il fallait ou les laver, ou n'avoir point de part avec lui. [75]

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Non è bene di essere tant' affezionato alla propria Religione sicchè si perdan gl'occhi per non vedere le cose manifeste. L'amore del mondo è cieco, e se non fosse tale non amerebbe il mondo che [66] nulla ha di bello o di buono ; ma l' amore celeste non è cieco, havendo lampadi e fiamme chiare, come dice il Cantico, tra mezzo alle quali dona lo spirito di discrezione per separare il bene dal male. Conviene mangiare il butiro ed il miele per sapere scegliere il bene e rigettare il male. Le api amano i loro alveari, ma contuttociò non lasciano di osservare minutamente ciò che vi è, e di nettarli e purgarli. Non v'ha sotto al cielo costanza tale che non pieghi, nè cosa si pura cui non s'attacchi la polvere. Chi è che possa giustamente adirarsi contro chi gli dice che si lavi dopo essere stato qualche tempo senza lavarsi ? Perchè non potrà dirsi : riformatevi, ad una Casa che già ha passato molti anni dopo l'ultima sua riforma ? Si stà sull' avvertenza di non lasciare lungo tempo una casa senza pulirla esteriormente ; perchè non s'havrà a fare lo stesso nell' interiore ?

            Certamente, non devono dirsi senza qualche utilità i mancamenti che si veggono nelle [Case], nè pubblicarli ; ma il non volerli [67] riconoscere nè confessare a chi può applicare rimedj, questo è passione ed amore disordinato. La Sposa, ne' Cantici, confessa senza timore le sue imperfezioni, dicendo : Io son fosca, ancorché bella ; ed altrove : Non istate ad osservare ch' io sia bruna, perchè il sole fù che mi scolorì. Or io penso che voi ben potete dirne altrettanto della vostra Casa : essa è bella, questo è vero, ma il sole, cioè a dire il tempo, la lunghezza de' giorni ha alterato il suo colore. Perchè adunque non procurerete di restituirle l'antico suo lustro, affinchè il suo Sposo possa dire : Voi siete tutta bella ? Quando i difetti sono momentanei e di passaggio in una Casa, è dicevole cosa il dissimularli ; ma quando sono stabili e permanenti conviene cacciarli, anche con istrepito e gridi, se fà bisogno. Eccessivo fu l'amore di Davidde, il quale non volle ch' Assalonne s'uccidesse, benchè fosse empio e rubelle. Se voi amate la vostra Casa, fatelo comparire col procurarne la purità, la sanità, la riforma. [69]

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            Ammirava Davidde che Iddio doni il cibo a pulcini dei corbi, ed infatti è cosa degna di maraviglia. Ma perchè li nutrisce, se non perchè per condiziòne di lor natura non ricevono alimento dal padre e madre, i quali non hanno cura dei propri parti ? E così provederà molto più le sue serve, le quali, per condizione della loro professione, si sono dedicate alla povertà e comunità, senza quei mezzi che sono contrarj alla povertà e comunità perfetta. Padri Conventuali di San Francesco hanno creduto di non poter vivere in quella stretta povertà che prescrive la Regola primiera ; i Padri Cappuccini hanno lor fatto vedere il contrario, e cosi deve dirsi di molti altri. Facciamo quel che dobbiamo, e Dio non ci mancherà. Se siamo in Egitto, ci alimenterà con le carni che ci doneranno gli Egizj, e se nel deserto, ci darà egli medesimo la manna. L'amore proprio è che ci fa comparire le nostre incomodità come insoffribili, senza ragione. Osservate Esaù : per havere preso un po'd'appetito correndo dietro alle fiere, gli parve che si moriva di fame, e sotto un tale pretesto vendè il diritto ch'aveva [69] alla primogenitura. Non credete a me, credete a Nostro Signore : se voi lasciate queste piccole pensioni particolari e le rendete comuni, voi non morirete ; vi parerà, ma ciò non sarà ; in cambio d'una, Iddio ve ne darà cento in questo mondo, dice il testo della divina Parola, e la vita eterna nell' altro. O Gesù inganna, o v' ingannate voi.

            Sarà fors'anche un' impedimento alla vostra riforma l'essere stata intrapresa da quelli che fin ora ve l'hanno proposta, con troppo d' asprezza, non maneggiando la piaga dolcemente. Ma che ? vorreste voi per questo rigettare i medicamenti ? L' asprezza passa e finisce coll' incominciarsi della vostra guarigione. Al certo, i cerusici sono qualche volta costretti d'ingrandire la piaga per impiccolire il male, quando sotto una piccola piaga vi è molto marciume o sangue corrotto. Questo è per avventura ciò che gl' hà obbligati a toccare sul vivo. Io lodo il loro metodo perchè buono, ancorchè non sia il mio, particolarmente havendo a trattare spiriti nobili e ben coltivati comme sono i vostri. Io penso che sia più spediente il [70] dimostrarvi che tutti i motivi vogliono che voi vi sottomettiate alla riforma.

            Ricordatevi che il vostro Monastero non fù incominciato con queste pensioni, anzi con un'esattissima povertà. Mie Sorelle, conviene salire alla sorgente della vostra Religione e bere in essa l'acqua della vostra riforma. Voi troverete un'acqua che vi farà dimenticare l'affetto che havete a queste piccole particolarità. Rimirate la pietra donde foste distaccate, non troverete alcuna paglia di proprietà. E questo mi fà parere necessaria la riforma.

            Io sò che avete grandi ostacoli, lo che mi reca compassione e mi costringe a scrivervi ; imperochè io hò alcune considerazioni le quali, a mio parere, possono ajutarvi a superare gl'impedimenti che vi ritardano un tanto bene. Io penso che il maggiore degl'impedimenti ad abbracciare questa riforma sia Immaginarvi che il male e mancamento sia piccolo e leggiero, appena potendomi [71] persuadere che quando lo riputaste grande voi voleste durarla in esso e permetterlo. Ma perdonatemi, ve ne prego, voi vi fate un gran torto, non potendo voi negare che sia un mancamento e difetto nella povertà e comunità religiosa. E per piccolo ch'egli sia, converrà trascurarne l'emenda ? Tutto all' opposto ; convien' emendarlo mentre è piccolo, potendo arrivare che crescendo non possa più emendarsi. L'inimico deve combattersi mentre è piccolo, senz'aspettare che sia grande. Prendetemi le volpi mentre sono piccole, è scritto nel Cantico de' Cantici, perchè disertano le vigne. Beati sono quelli che gitteranno contro la pietra e schiacceranno la testa de' pargoletti di Babilonia, dicono i figliuoli d'Israele in un Salmo. È facile di rivolgere i piccoli fiumi dove vogliamo, ma i grandi non si lasciano domare.

            Fù saggia Sara la quale non giudicò di dovere lasciare crescere Ismaele prima di scacciarlo ; non si tosto lo vidde combattere con Isaac, che lo discacciò dalla casa d'Abrammo. Io hò la Casa vostra in conto di casa d'Abrammo, di quel gran Padre che stà ne' Cieli ; [72] vi è una Sara ed un'Agar, la parte superiore e l'inferiore. La superiore genera il buon Isaac, che è il voto da voi fatto, volontario e libero, come un sagrificio di voi medesime, sopra il monte della Religione. L'inferiore genera Ismaele, cioè il desiderio e sollecitudine delle cose esteriori. Or mentre quest' Ismaele, cioè a dire il desiderio e sollecitudine, non se la prende contro il vostro voto, abbenchè vi resti in casa, io ne sono contento ed Iddio non l' haverà a male. Se però tocca il vostro voto in qualcuna delle sue parti principali, come è la povertà, io vi supplico e vi scongiuro, per l'amore che portate al vostro Isaac, al voto ed alla vostra Casa, discacciatelo e sbanditelo. Sia pur egli piccolo quanto volete, manderà il vostro Isaac in rovina e guasterà la vostra Casa. Guardatevi da queste uova d'aspidi ; se voi le covate nel vostro seno, produrranno la vostra morte e perdizione. Questo non vi parerà, ma è verità. Sarete meno degne di scusa quando non sarete fedeli nelle cose piccole : siate fedeli nella riforma di questi piccoli difetti, e sarete stabilite sopra molte cose. [73]

            Osservate però con diligenza li andamenti di vostra Casa, e voi non ritroverete il male così piccolo come pensate. Chiamate voi piccolo un male che guasta una parte nobile del vostro corpo, che è la santa povertà ? Può uno essere Religioso senza cantare in coro, senz'usare una tale foggia d'abito, senz' astenersi da una tale vivanda ; ma senza povertà, niuno può essere Religioso. Il vermicello che danneggiò l'ellera di Giona pareva piccolo, e pure grande era la sua malizia. L'affetto che voi portate alla proprietà a voi altresì sembra piccolo, e ad ogni modo può essere sì grande la sua malizia che dissecchi il bell'albero del vostro Monastero e vi privi del titolo di Figliuole di Dio. Quanto a me, non conosco alcun nemico, per piccolo ch' ei sia, che debba nutrirsi ed accarezzarsi, e che un uomo di buon senso non giudichi sempre ben grande.

            Le mosche, morendo, corrompono la soavità del balsamo. Se passano solamente sopra il balsamo, ancorchè lo succhino non perciò lo guastano, ma bensì se vi muojono sopra. Dicono essere solamente mosche le imperfezioni della vostra Casa perchè sono piccole. Anche [74] io lo vedo, e tutt'insieme vedo un gran male, perchè non passano ; al contrario, si fermano come morte in questa Religione, vi sono mantenute e conservate. Ora, e chi non scorge che per piccolo che sia il peccato cresce facilmente quando si vuol mantenere ? Io per me vi esorto a giudicarlo ben grande, perchè vi priva di un gran bene, ed a crederlo una massima imperfezione, essendovi un ostacolo per giungere alla maggior perfezione. Corre in proverbio : « Monachus non valet obolum si possidet obolum. » Un poco di lievito è sufficiente ad alterare tutta la massa della pasta, dice il Salvatore. Altro non restava da lavarsi agl' Appostoli fuorchè i piedi, e pure pronunziò il Signore che, o conveniva lavarli, o non havere parte con esso lui. [75] ……………………………………

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MMXV. A M. Amédée de Chevron-Villette (Billet inédit). Invitation à se rendre à Sales pour l'arrangement d'une affaire.

 

Annecy, 18 janvier 1603.

 

            Monsieur,

 

            Sur vostre derniere lettre, ma mere attend lhonneur de vous voir, avec monsieur le Baron de Cusi, demain au soir a Sales, affin d'arrester le lendemain l'affaire dont il s'agit. Dieu y mette sa bonne main et vous veuille donner longue et heureuse vie.

            Je suis, Monsieur,

Vostre plus humble neveu et serviteur,

FRANÇS DE SALES, EV. de Geneve.

            A Neci, le 18 janvier 1603.

                         ….. salue.

 

Revu sur une copie de l'Autographe conservé au Carmel de Florence. [76]

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MMXVI. A Dom Nicolas Maistre, Vicaire de la Chartreuse de Melan (Inédite). Intercession en faveur d'une postulante Chartreuse.

 

Sales, 18 novembre 1603.

 

            Mon Reverend Pere,

 

            Monsieur Saultier, præsent porteur, a une seur nourrie des son jeun'aage en vostre monastere, laquelle, a ce qu'il m'a dit, desire extremement l'honneur d'y estre receüe Religieuse. Et parce quil a besoin de vostre faveur pour obtenir ce bien pour sa seur et quil a desiré ma recommandation aupres de vous, estimant qu'elle vous sera aggreable et utile a son dessein, je me suis treuvé redevable, et pour la qualité de la chose qui est bonn' en soy, et pour plusieurs autres devoirs, de vous en supplier comme je fay par ces quatre lignes, m'offrant [77] entierement a vostre service et vous demandant l'assistance de vos saintes oraisons.

Vostre serviteur bien humble en Jesuschrist,

FRANÇS, Evesque de Geneve.

            De Sales, XVIII novembre 16o3.

 

            Au Reverend Pere en Dieu,

Le P. Dom Vicaire du Monastere de Melan.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mlles Camille et Augusta Weller-Marcelin, à Châtillon-sous-Bagneux (Seine).

 

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MMXVII. A M. Simon Ruptier, Cure de Cranves (Fragment inédit)

 

[Mai ou juin] 1604 .

 

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l'emolument de l'union de vos cures, je n'y apporte nulle difficulté, et vous le laisse en recompense des peynes que vous aures. Je suis

Vostre confrere affectionné,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Monsieur le Curé de Cranves.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Fernand Dumont, à Boëge (Haute-Savoie). [78]

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MMXVIII. Au Président Antoine Favre. Douce menace d'affection. — Pourquoi le Président devra faire tout l'hiver une « rigoureuse residence ». — Mme de Boisy, malade.

 

Annecy, 30 octobre 1604.

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Me voyci de retour a Neci ou il me semble que je ne suis qu'en songe, puisque vous n'y estes pas ; et neanmoins, la solemnelle coustume d'attendre vos entrees en robbe rouge, que vous aves si religieusement observé ci devant, ne me laisse null' esperance de vous voir de je ne sçai combien de jours.

            Mais je me flatte bien d'un' asseurance que je prens de vous tenir si serré, quand je vous auray, que vous ne m'eschapperes pas pour un seul jour de tout cet hiver. Disposés vous a la plus rigoureuse residence que vous [79] ayes encor faitte icy, sil vous plait, mon tres cher Frere, car je ne vous en dispenseray nullement ; non tant fondé sur l'extreme contentement que j'ay en vostre presence, comme sur la necessité que vostre santé a de repos en ce tems-la auquel le froid ne peut estre vaincu par le mouvement.

            Aymons-nous de plus en plus, mon cher Frere, et Dieu soit nostre plus grand amour.

Vostre serviteur et frere plus humble, plus affectionné,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, le XXX octobre 1604.

            Je salue humblement madame ma seur, et vous donne pour toutes nos nouvelles que ma pauvre mere est extremement malade de la goutte

 

                        A Monsieur mon Frere,

            Monsieur Favre, Conseiller de S. A.

            Senateur au souverain Senat, Præsident de Genevois.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le comte de Courtivron,

au château de Chigy (Nièvre). [80]

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MMXIX. A M. Pierre de Musy (Inédite). Compassion pour un vassal malheureux.

 

La Roche, 8 mars 1605.

 

            Monsieur le Chastelain,

 

            Ce pauvre homme me parle de chose que je ne connois pas. Pour ce qui me regarde, je m'accommoderay a ce que vous treuveres raysonnable, et ne veux pas quil tienne a moy quil ne soit deschargé de la somme d'avoyne quil a perdue par le feu. Faites luy seulement rayson en cela, et je ne m'en esloigneray aussi nullement.

D         ieu vous conserve, et je suis

Vostre affectionné a vous servir,

FRANÇS, E. de Geneve.

            VIII mars 1605, a La Roche.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Max Meaudre, à Ouilly (Rhône). [81]

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MMXX. A un inconnu (Fragment inédit)

 

La Roche, mars 1605 .

 

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le de monsieur de Chivron, attendant quil sera devenu [81] parmi … et maladies pestilentes de ses maistres, la seule mort du premier suffisante pour luy donner la sienne.

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Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Chambéry.

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MMXXI. A un gentilhomme (Inédite). Un chanoine compte sur l'intervention du Saint auprès du destinataire.

 

Annecy, 18 avril 1606.

 

            Monsieur,

 

            Le sieur chanoyne Gottri desirant de vous une ratification sur un contract quil a fait, m'a prié de m'employer aupres de vous pour la luy faire obtenir ; et par ce quil m'a asseuré que son desir estoit juste, et quil est bien fort de mes amis, je vous supplie de l'en gratifier, en contemplation mesme de celuy qui, priant [82] Nostre Seigneur pour vostre bonheur, demeure toute sa vie,

            Monsieur,

Vostre neveu et serviteur tres affectionné,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Neci, XVII avril 1606.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. de Beauregard, à Orléans.

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MMXXII. A la Baronne de Chantal (Inédite). Le cours d'une année et l'eau sur la grève. — Humilité et confiance. — Le « petit Agnelet d'innocence » secouant sa toison sur les cœurs largement ouverts du côté du Ciel. — Raisons du silence de tout un mois. — Les vœux d'un Saint

 

Annecy, 30 décembre 1606.

 

            Il ne m'est pas advis, ma chere Fille, que ce soit vous escrire quand je vous escris si peu, mais il faut que je m'accommode a la necessité.

            Nous voyci en fin au bout de cett' annee 1606, et je treuve qu'elle s'est escoulee comme l'eau sur la greve, sans avoir laissé en mon ame aucun' autre chose que de l'ordure et quelques petites coquilles vuides, de certaines vaines apparences d'avancement et de certains desirs sans effect. Mais avec cela, ma tres chere Fille, je ne pers point courage, et pendant que Dieu me donnera des annees, des mois, des semaines, des jours et des heures a vivre en ce monde, j'espereray tous-jours la sainte et glorieuse æternité de l'autre.

            Et vous, ma chere Fille, n'estes vous pas toute pleyne d'esperance, mais d'un'esperance vive et qui dilate le cœur, le renforçant contre les difficultés du chemin ? Si faut, ma Fille, il faut avoir un cœur grand, bien large et bien estendu, affin de recevoir la celeste rosee que le [83] petit Agnelet d'innocence secouera sur nos ames a cette Circoncision, et dont sa blanche layne, sa toyson et son humanité est toute detrempee ; car bien que les goutes soyent encor toutes petites, si ne sont elles receües que par les cœurs fort ouvertz du costé du Ciel. Vous aves bien ouy dire que les mere perles s'ouvrent comme cela pour vivre de rosee, et qu'elles se tiennent egalement et fermees aux eaux d'embas et ouvertes a celles d'en haut.

            Je suis un peu court de loysir.

            J'ay receu une de vos lettres de Tote, du mois d'octobre, et elle m'est arrivé (sic) le jour Saint Estienne. Au paravant, j'en receu un' autre de Bourbilly, ou ma petite seur estoit aussi. Je ne sçay laquelle est la premiere, car la derniere n'estoit point datee ; toutes deux neanmoins sont escrittes avant l'arrivee du lacquay de Mme du Puis d'Orbe.

            Je m'accuse de ne vous avoir point escrit de tout ce moys de decembre, par ce que j'ay esté quelque tems a Sales aupres de ma bonne mere, laquelle est attachee sur la croix par les piedz, souffrant extremement de la goutte. Et estant de retour, il m'arriva un vomissement si fort et qui me travailla si estrangement la poitrine, que je fus contraint de ne point lire ni escrire quelques jours durant, pendant lesquelz je perdis la commodité de ceux qui alloyent a Lion. Or tout cela [84] n'est rien, ma chere Fille ; je me porte fort bien maintenant, et si bien que je fis tous les Offices et de la nuit et du jour de Noël, despuis lequel je me suis encor beaucoup mieux treuvé, Dieu merci.

            Vivés joyeuse, ma chere Fille, et conservés uniquement vostre cœur pour vostre Sauveur. Je le supplie d'estre nostre Tout, et que nous soyons tout a luy. Sa Majesté sçait combien mon souhait est entier pour ce regard, et qu'en toutes les actions de mon ame la vostre a tous-jours sa bonne part, ains le tout.

            Je suis sans fin et sans reserve tres uniquement vostre en Celuy a qui je veux que nous soyons sans fin et sans mesure. Il soit beni a jamais. Amen.

F.

            Le penultiesme de l'an 1606.

            J'ay receu le cantique, qui est bien beau, mais il est trop relevé pour le faire chanter au cathechisme. A Dieu, ma Fille, tout ce qui m'appartient est vostre, specialement ma mere.

            VIVE JESUS !

 

            A Madame

Madame la Baronne de Chantal, m. f. (ma fille).

 

Revu sur l'Autographe conservé à Florence,

au Monastère de Sainte-Marie-Madeleine de Pazzi. [85]

 

MMXXIII. A Madame du Chatelard (Fragment inédit)

 

Annecy, 20 septembre 1607.

 

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entre lesquelz j'honnore beaucoup [monsieur] vostre mari, auquel et a vous, priant Nostre Seigneur quii vous conserve en ses benedictions, je demeure,

            Madame,

Vostre serviteur tres affectionné en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XX septembre 1607.

 

            A Madame

Madame du Chastelard.

 

Revu sur l'Autographe conservé dans les archives du comte d'Asnières de Sales, au château de Metz (Annecy). [86]

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MMXXIV. A un ecclésiastique (Inédite). Une affaire pressante. — Impossibilité pour le saint Évêque d'aller la traiter en personne.

 

Annecy, 20 décembre 1609.

 

            Monsieur,

 

            J'ay receu vos deux lettres, et en escris une, la plus pressante que j'aye escrit il y a long tems, a monsieur d'Avully pour leur sujet. Monsieur Darchant desiroit que j'allasse en personne, mais ces festes et un empeschement secret m'en excusent devant Dieu et les hommes. Je vous prie de le garder de desirer cela de moy, car il y a je ne sçai quoy qui regarde mon repos [87] necessaire qui ne peut permettre que j'aille en personne.

            Je me recommande de plus fort a vos saintz Sacrifices et suis de toute mon ame,

Vostre confrere plus affectionné

en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XX decembre 1609.

            Vous traitteres de tout avec monsieur Grandis. Si monsieur de Blonnay ou M. le Curé de Bons estoyent propres pour porter la lettre, ilz le feroyent, estant priés de ma part.

 

Revu sur une copie de l'Autographe, communiquée à la Visitation d'Annecy. [88]

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(DXL, DCCCXXXVIII). A la Baronne de Chantal. Un mal qui ne se guérit que par l'expérience. — Attendre après Pâques pour le voyage en Savoie. — Ce que dira le cœur de la Baronne, ce que celui du Saint attend. — Tranquillité, fruit de contradictions. — Nouvelles de l'âme de François de Sales. — Dégagement du monde, attachement à Dieu. — L'oraison de Mme de Chantal. — Une âme qui reverdit après un long hiver. — Saints projets pour la Visitation et l'abbaye de Sainte-Catherine. — L'Introduction à la Vie dévote et le Traitté de l'Amour de Dieu. — « Plusieurs sortes de nouvelles. » — Se mettre en la présence de Dieu et s'y tenir sont deux choses différentes. — La comparaison de la statue. — Messages affectueux

 

Annecy, 16 janvier 1610 .

 

            Encor ne sçai je pas, ma tres chere Seur, ma Fille, si je vous escriray trop amplement, car monsieur vostre cher neveu m'avoit dit ce matin quil ne partiroit qu'apres demain, et voyla que son homme fait sa valise et dit que, despuis, il a resolu de partir demain mattin ; qui m'a fait rompre le dessein d'aller visiter le bon M. Nouvelet, qui sort d'une grande maladie, pour venir vitement escrire le plus que je pourray.

            Nous avons parlé quelquefois de sagesse, ce Baron et moy ; mais, ma chere Fille, le mal que vous aves fort bien reconneu en luy ne se guerit que par l'experience, car ceste fause estime de nous mesme est tellement [89] favorisee par l'amour propre, que la rayson ne peut rien contr'elle. Helas ! c'est la quatriesme chose difficile a Salomon, et laquelle il dit luy avoir esté inconneüe, que le chemin de l'homme en sa jeunesse. Dieu donne a celuy ci beaucoup de grace d'avoir monsieur son grand pere qui veille sur luy ; que longuement puisse-il jouir de ce bonheur !

            Quant a vostre venue de deça, ne vous hastes point pour le dessein de Paris, car n'en ayant eu nulle sorte de nouvelles des. celles que je vous monstray, il y a apparence quil ne se continue plus ; et il me semble que de mettre ces petites en voyage au Caresme, ce seroit chose bien dure ; outre que le cher neveu m'a dit que le bon pere et monsieur vostre frere ont marqué le tems d'apres Pasques immediatement. Vostre cœur dira-il point, peut estre : Ardé comme cet homme va tous-jours esloignant l'affaire ! O ma Fille, croyes que [90] le mien attend le jour de vostre consolation avec autant d'ardeur que le vostre ; mais il faut que je face ainsy pour des raysons lesquelles il n'est pas expedient que je vous escrive. Attendes donq, tres chere Seur, attendes, dis-je, en attendant, affin que j'use des paroles de l'Escriture. Or, attendre en attendant, c'est de ne s'inquieter point en attendant ; car il y en a plusieurs qui en attendant n'attendent pas, mais se troublent et s'empressent.

            Nous ferons prou, chere Fille, Dieu aydant. Et tout plein de petites traverses et secrettes contradictions qui sont survenuës a ma tranquillité, me donnent une si douce et suave tranquillité que rien plus, et me presagent, ce me semble, le prochain establissement de mon ame en son Dieu, qui est, certes, non seulement la grande, mais, a mon advis, l'unique ambition et passion de mon cœur. Et quand je dis de mon ame, je dis de toute mon ame, y comprenant celle que Dieu luy a conjoint inseparablement.

            Et puis que je suis sur le propos de mon ame, je vous en veux donner cette bonne nouvelle : c'est que je fay et feray ce que vous m'aves demandé pour elle, n'en doutes point ; et vous remercie du zele que vous aves pour son bien, qui est indivis avec ce luy de la vostre, si vostre et mien se peut dire entre nous pour ce regard. Je vous diray plus : c'est que je la treuve un peu plus a mon gré que l'ordinaire, pour n'y voir plus rien qui la tienne attachee a ce monde et plus sensible aux biens eternelz. Que si j'estois aussi vivement et fortement joint a Dieu comme je suis absolument dis-joint et aliené du monde, mon cher Sauveur, que je serois heureux ! et vous, ma Fille, que vous series contente ! Mais je parle pour l'interieur et pour mon sentiment ; car mon exterieur et, ce qui est le pis, mes deportemens sont pleins d'une grande varieté d'imperfections contraires, et le bien que je veux je ne le fay pas ; maisje sçai pourtant bien que, en verité et sans feintise, je le veux, et d'une volonté inviolable. Mais, ma Fille, comme donq se peut il faire que sur une telle volonté tant d'imperfections [91] paroissent et naissent en moy ? Non certes, ce n'est pas de ma volonté ni par ma volonté, quoy qu'en ma volonté et sur ma volonté. C'est, ce me semble, comme le guy, qui croist et paroist sur un arbre et en un arbre, bien que non pas de l'arbre ni par l'arbre. O Dieu, pourquoy vous dis-je tout ceci, sinon par ce que mon cœur se mest tous-jours au large et s'espanche sans borne quand il est avec le vostre ?

             Vostre façon d'orayson est bonne ; soyes seulement bien fidelle a demeurer aupres de Dieu en cette douce et tranquille attention de cœur, et en ce doux endormissement entre les bras de sa providence et en ce doux acquiescement a sa sainte volonté, car tout cela luy est aggreable.

             Si vous demeuries de dela, je serois bien ayse d'entreprendre le service que le P. Remond desire de moy pour Madame de Saint Jean ; mais cela n'estant point, il me semble qu'un autre qu'ell'aura [92] moyen de voir plus souvent se rendra plus utile, mais sur tout Monsieur d'Aoustun ; car, qui pourroit mieux mettre la main a ce bon œuvre ? Et moy, cependant, je prieray Nostre Seigneur pour elle, car sur les bonnes nouvelles que vous m'en donnés, je commence a l'aymer tendrement, la pauvre femme. Helas, quelle consolation de voir reverdir cette pauvr'ame, apres un si dur, si long et aspre hiver !

             Je vous escrivis la derniere fois asses longuement, et vous disois l'estat des affaires de nostre nouveau Monastere, qui estoit que l'esperance que nous avions de treuver des justes moyens pour l'eriger, nous estoit demeuree partagee par la moytié, et que neanmoins nous perseverions, sur la resolution que celles qui contribuent font de se retirer la, et au moins, si elles ne peuvent faire selon leur project premier, s'addonner entr'elles au service de Dieu et des pauvres malades ; mais cela vient de leur esprit, et le tout, disent elles, attendant que Dieu dispose autrement : si que vous ne seres pas seule a ce conte lâ. Il seroit bien a souhaiter que nos bonnes filles de Sainte Catherine se servissent de cett' occasion pour venir en la ville et faire un' entiere reformation, car vrayement il y en a nombre qui seroyent extremement propres a suivre un'absolue perfection ; mais il faut que ce soit de leur propre mouvement et de leur Abbesse. Or, cela est sous la main de Dieu, et moy je n'oserois en rien dire, ni directement ni indirectement, car j'en effaroucherois les plus anciennes et gasterois tout pour le present. Certes, [93] toutes les jeunes font merveilles, et entr'autres vostre fille.

            Il y a long tems que je n'ay pas parlé a la chere seur, mais je sçai bien pourtant qu'elle se fait tous-jours meilleure, car je connois les gens a les voir ; j'entens ceux qui me sont si proches selon l'esprit. Ell'est grosse bien fort, dont ell'est toute contente. Je vous envoye un livre, mais ce n'est encor pas le beau, par ce que je me reserve a le vous donner apres la troysiesme edition, laquelle j'espere rendre fort entiere et correcte ; car en celle ci je fus si pressé que quelques chapitres entiers y manquent, comme celuy Des habitz et Quil faut avoir l'esprit juste et raysonnable : dequoy je ne m'estois apperceu qu'avant hier. Or, alhors je veux escrire beaucoup de choses de ma main en l'exemplaire que je vous donneray ; mais pour maintenant j'escris quatre ou cinq motz, seulement pour vous obliger a ne point vous desfaire de celuy ci jusques a ce que vous ayes l'autre.

            Je n'ay sceu encor mettre la main au livre de l'Amour de Dieu, ayant esté continuellement agité des mon retour, et mesme ayant presché toutes les festes et Dimanches, a cause de l'absence de nostre prsedicateur.

            Je persevere a la resolution d'aller a Salins, en quoy neanmoins plusieurs difficultés me sont survenues a l'improveu ; mais il les faut surmonter, Dieu aydant, pourveu qu'elles ne grossissent plus. [94]

            Il faut que je vous die que j'ayme tous les jours plus vostre filz, par ce qu'a mon advis, il devient tous les jours plus doux et gracieux. Mon frere de la Thuille s'est rendu si amoureux de Mlle Favre qu'on ne l'en peut tirer, et le bon pere a un si grand desir de la luy donner, que j'ay grand peur que le dessein d'estre Religieuse n'en soit suffoqué, bien qu'il y a trois semaines que je ne l'aye veüe. Il vous faut ainsy dire plusieurs sortes de nouvelles.

            Je retourne a vostre orayson, car j'ay releu vostre lettre hier au soir bien tard. Faites tous-jours comme vous m'escrivés :  gardes vous des fortes applications de l'entendement, puisqu'elles vous nuysent, non seulement au reste, mais a l'orayson mesme, et travailles autour de vostre cher object avec les affections tout simplement, et le plus doucement que vous pourrés. Il ne se peut faire que l'entendement ne face quelquefois des eslancemens pour s'appliquer, et il ne faut pas s'amuser a s'en tenir dessus sa garde, car cela serviroit de distraction ; mais il faut se contenter que, vous en appercevant, vous retournies simplement aux actions de la volonté. [95]

             Se tenir en la presence de Dieu et se mettre en la presence de Dieu, ce sont, a mon advis, deux choses ; car pour s'y mettre, il faut revoquer son ame de tout autre object et la rendre attentive a cette presence actuellement, ainsy que je dis dans le livre. Mais apres qu'on s'y est mis, on s'y tient tous-jours, tandis que, ou par l'entendement, ou par la volonté, on fait des actes envers Dieu, soit le regardant, ou regardant quelque autre chose pour l'amour de luy ; ou ne regardant rien, mais luy parlant ; ou ne le regardant ni parlant a luy, mais simplement demeurant ou il nous a mis, comm' une statue dans sa niche. Et quand, a cette simple demeure, se joint quelque sentiment que nous sommes a Dieu et qu'il est nostre Tout, nous en devons bien rendre graces a sa Bonté.

            Si une statue que l'on auroit mise en une niche au milieu d'une sale, avoit du discours et qu'on luy demandast : Pourquoy es tu la ? Par ce, diroit-elle, que le statuaire mon maistre m'a mis icy. Pourquoy ne te remüe tu point ? Par ce qu'il veut que j'y demeure immobile. De quoy sers tu lâ ? quel proffit te revient il d'estre ainsy ? Ce n'est pas pour mon service que j'y suis, c'est pour servir et obeir a la volonté de mon maistre. Mais tu ne le vois pas. Non, dira-elle, mais il me voit et prend playsir que je sois ou il m'a mis. Mais ne voudrois tu pas bien avoir du mouvement pour aller plus pres de luy ? Non pas, sinon quil me le commandast. Ne desires tu donq rien ? Non, car je suis ou mon maistre m'a mis, et son gré est l'unique contentement de mon estre.

            Mon Dieu, chere Fille, que c'est une bonn' orayson et que c'est une bonne façon de se tenir en la presence de Dieu que de se tenir en sa volonté et en son bon playsir ! Il m'est advis que Madeleyne estoit une statue en sa niche, quand, sans dire mot, sans se remuer, et peut estre sans le regarder, ell'escoutoit ce que Nostre Seigneur disoit, assise a ses pieds. Quand il parloit, ell'escoutoit ; quand il entrelaissoit de parler, elle cessoit d'escouter, et ce pendant ell'estoit tous-jours la. Un [96] petit enfant qui est sur le sein de sa mere dormante, est vrayement en sa bonne et desirable place, bien qu'elle ne luy dit mot, ni luy a elle.

            Mon Dieu, ma Fille, que je suis ayse de parler un peu de ces choses avec vous ! Que nous sommes heureux quand nous voulons aymer Nostre Seigneur ! Aymons le bien donq, ma Fille ; ne nous mettons point a considerer trop par le menu ce que nous faysons pour son amour, pourveu que nous sachions'que nous ne voulons jamais rien faire que pour son amour. Pour moy, je pense que nous nous tenons en la presence de Dieu mesmement en dormant, car nous nous endormons a sa veùe, a son gré et par sa volonté, et il nous met la sulle lict comme des statues dans une niche ; et quand nous nous esveillons, nous treuvons qu'il est la aupres de nous, il n'en a point bougé, ni nous aussi : nous nous sommes donq tenu (sic) en sa presence, mais les yeux fermés et clos.

            Or voyla vostre Baron qui me presse. Bonsoir, ma chere Seur, ma Fille ; vous aures de mes nouvelles le plus souvent que je pourray.

            Croyés que la premiere parole que je vous escrivis fut bien veritable, que Dieu m'avoit donné a vous ; les sentimens en sont tous les jours plus grans en mon ame. Ce grand Dieu soit a jamais nostre Tout.

            Je salue ma chere petite fille ma seur et toute la mayson, et encor, a vostre loysir, M. et Mme de la Curne et la bonne cousine M. de Traves. J'escris un billet a Mme du Puys d'Orbe et un autre a Mme Brulart ; a M. Fremyot je ne puis, luy ayant escrit na guere. [97]

            Tenes ferme, chere Fille, ne doutes point ; Dieu nous tient de sa main et ne nous abandonnera jamais. Gloire luy soit es siecles des siecles. Amen.

            Le XVI janvier 1610.

            Vive Jesus et sa tressainte Mere ! Amen. Et loué soit le bon Pere Saint Joseph ! Dieu vous benisse de mille benedictions.

 

            A Madame

Madame la Baronne de Chantal, m. f. (ma fille.)

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Lisbonne, transférée à Ségovie.

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MMXXV. A un cardinal (Minute inédite). Mérite singulier et pauvreté extrême du Chapitre de Saint-Pierre de Genève. — Instante prière au destinataire de favoriser auprès du Pape l'union de deux bénéfices à la mense capitulaire.

 

Annecy, 12-16 avril 1610.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor Padron colendissimo,

 

            Non si può facilmente dire qual sia maggiore in questa Chiesa Gebennense o la povertà o il merito de' [98] Canonici, poichè, quanto a Canonici, sonno la maggior parte dottori et prædicatori valentissimi, che in effetto hanno con molti travagli adoprati i loro talenti in questa vigna, a benefìcio dell'anime et conversione delli hæretici.

            Et quanto a la povertà, ella è tale che, fra residentie et præbende, non hanno per vivere decentemente tre mesi dell'anno, perchè essendo stati spoliati dalli Genevrini della maggior parte de' beni loro, le guerre succedute dipoi hanno quasi essausto il restante. Onde, offrendosi adesso l'occasione di poter essere alquanto aiutati con l'unione del priorato di San Paolo et della chiesa parrochiale di Artas, ricorrono alla providentia et clementia di Nostro Signore, acciò si degni usar verso di loro gratia compita, [la] stessa povertà [99] laquale li preme, non permettendo che possano ricorrere all' impetratione di detta gratia con dinari.

            Et sebene nella mensa capitulare non ho parte veruna, mosso di mera compassione verso una Chiesa tanto povera, et di vero amore verso una compaignia tanto honnorata et meritevole, vengho anco con loro a supplicar V. S. Illma et Rma, nelle viscere di Christo, che si degni adoprar in questa occasione sua charità et magnanimità, intercedendo per loro in maniera che dalla beneficentissima mano sua ricevano questo beneficio ; il che, sì come Ella può facilmente fare, così speriamo che per bontà sua lo farà certamente.

            Et così, facendoli humilissima riverenza, preghiamo il Signor Iddio che le dia ogni vero contento.

            In Annessi, alli X.. di Aprile 1610.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Forli (Italie), au Monastère du Corpus Domini. [100]

 

 

 

            Illustrissime, Révérendissime et très vénéré Seigneur,

 

            On ne saurait dire ce qui l'emporte dans cette Eglise de Genève, ou de la pauvreté ou du mérite de ses Chanoines. Ceux-ci, pour [98] la plupart, sont docteurs et excellents prédicateurs, et ont en effet, avec beaucoup de travaux, employé leurs talents en cette vigne, pour le bien des âmes et la conversion des hérétiques.

            Quant à la pauvreté, elle est telle, qu'entre les distributions et les prébendes, ils n'ont pas de quoi vivre convenablement trois mois de l'année ; car les Genevois les ont d'abord dépouillés de la plus grande partie de leurs biens, et ensuite, les guerres qui se sont succédé ont presque épuisé le reste. Aussi, voyant qu'une occasion s'offre à eux d'être aidés quelque peu par l'union du prieuré de Saint-Paul et de l'église paroissiale d'Arthaz, ils recourent à la providence et clémence de notre Saint-Père, afin qu'il daigne leur accorder cette faveur complètement, d'autant que [99] la même pauvreté qui les presse ne leur permet pas de l'obtenir par de l'argent.

            Bien que je n'aie part aucune dans la mense capitulaire, touché de pitié pour une Eglise si pauvre et d'un amour sincère pour une compagnie si honorable et méritante, je viens avec mes Chanoines supplier Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime, par les entrailles du Christ, de vouloir bien employer sa charité et sa magnanimité en cette occasion, en intercédant pour eux de telle sorte qu'ils reçoivent ce bienfait de sa libéralité. Vous pouvez facilement le faire ; aussi espérons-nous que votre bonté le fera certainement.

            En vous présentant nos très humbles hommages, nous prions Dieu notre Seigneur de vous accorder tout vrai contentement.

            A Annecy, le X.. avril 1610. [100]

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MMXXVI. A la Mère de Chantal (Fragment). Deux sujets de sermons.

 

Annecy, [28 novembre 1610 .]

 

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            A Dieu, ma Fille. Je me suis consolé a prescher de la crainte de Dieu a mon cher peuple, et je me consoleray a prescher de son amour a ma chaste troupe de colombelles, entre lesquelles je vous regarde comme la toute mienne en Celuy a qui nostre cœur est donné. [101]

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MMXXVII. A Madame Béatrix de Maillard, prieure de Neuville (Inédite). Deux lettres pour soutenir les droits de la destinataire. — Une âme « bonne et vrayement chrestienne ». — Progrès spirituels de l'ancienne Abbesse de Sainte-Catherine ; la consolation qu'elle désirait. — Regret de ne pouvoir écrire à Mme de la Verjonnière. — Veiller sur son cœur au milieu de l'embarras des affaires.

 

Annecy, 5 décembre 1610.

 

            Madame,

 

            J'ay escrit tout a la haste deux lettres, dont l'une est addressee, selon vostre desir, au sieur advocat qui me conseille a Dijon, l'autre est de telle sorte que vous y pouves mettre l'inscription pour l'un de messieurs les presidens, selon que vos affaires le requerront ; mais l'un' et l'autre escrittes de fort bonne encre, comme je suis obligé de faire pour vous, que je cheris et honnore de tout mon cœur en Nostre Seigneur. Et pour me donner plus de pouvoir de recommander vostre affaire, non seulement je remonstre qu'on vous a fait tort, et a vostre Monastere, mais je me dis vostre parent, comme je puis [102] faire a bonn' occasion telle qu'est celle ci, puisque je le suis, quoy que d'asses loin, et que si le tems et les successions nous esloignent quant au sang, la charité et dilection nous approchent selon l'esprit.

            Au demeurant, j'ay esté grandement consolé de voir cett' ame bonne et vrayement chrestienne de monsieur l'Aumosnier de Belleville, lequel je n'eu pas loysir de beaucoup entretenir, par ce quil pressoit son retour ; mais en ce peu de tems, je vis en luy beaucoup de bonne et sainte affection pour vous et vostre Mayson, a laquelle il ne peut estre que fort utile.

            Tout ce qui vous honnore de deça se porte bien, notamment la chere seur de Sainte Catherine, laquelle je n'ay pas veu il y a fort long tems, mais delaquelle j'ay souvent des nouvelles et que je verray dans trois jours. Elle fait merveilles en l'avancement de son ame envers Nostre Seigneur. Ell' esperoit de venir pour quelques jours demeurer avec les Dames de la Congregation de la Visitation de cette ville, pour se consoler, recreer et renforcer spirituellement avec elles, comme elle fit pour deux jours seulement cet esté ; mais je croy qu'elle attendra les environs du Caremprenant, quoy qu'elle en ayt un ardent desir pour le prouffit qu'ell' en receut l'autre fois. Si ce porteur m'eut donné un peu de loysir, je l'eusse advertie, affin qu'elle vous eut escrit, et moy j'eusse escrit a madame de la Vergeonniere, non seulement affin de m'acquiter de l'obligation en laquelle elle m'a mise (sic) par la peyne qu'elle a prise de m'escrire la premiere, mais pour le saint amour que je porte a ses vertus, desquelles ce m'est de la consolation d'avoir ouïr (sic) parler a monsieur l'Aumosnier. Or bien, ce [103] sera a la premiere commodité, et tandis, je prie Nostre Seigneur quil la face abonder en la grace et benediction du Saint Esprit, et vous de mesme, ma tres chere Fille ; car, que puis-je faire autre chose pour vous ?

            Soyes donq tous-jours toute a Dieu, sans laisser emporter vostre cher cœur au torrent des distractions que les affaires, et sur tout les proces, produisent ; prenes garde que vostre soin ne se convertisse en troublement et inquietude d'ame. Sur tout, n'oublies pas les affaires interieures pour les exterieures, mais donné tous-jours des parties plus prætieuses de vos jours et de vostre tems a Celuy qui vous veut donner son eternité.

            C'est pour luy et en luy que je suis tout vostre, ma Fille, et

Vostre serviteur bien humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

            5 decembre 1610.

            Monsieur de Vallon est a Thurin ; monsieur et madame de Charmoysi sont au chams.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mlle de Lafayolle,

à Saint-Germain-Lespinasse (Loire).

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MMXXVIII. A la Mère de Chantal (Inédite). Affectueuse sollicitude pour une chère santé compromise

 

Annecy, [juin-août 1610-1612 .]

 

            Vous estes donq bien enrumee, ma tres chere Fille, et [104] moy bien marri dequoy vous l'estes. Tenes vous bien a couvert du serein, je vous prie, et du soleil aussi.

            Si vous estes a table, ne m'escrives point, car cela vous incommode trop ; et si vous n'estes pas a table, escrives moy bien peu, et cela de nostre chere santé.

            Bonsoir, ma tres chere Fille ; Nostre Seigneur nous veuille de plus en plus rendre tous siens par effect, comme par affection nous le sommes. Ce doux Sauveur vous benisse, ma tres chere Fille, que j'iray voir si tost que je pourray bonnement.

            VIVE JESUS ! Amen.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la baronne Angleys, née du Bellair, à Chambéry.

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MMXXIX. A la Sœur Fichet, Religieuse de la Visitation d'Annecy (Fragment). Le traitement du cœur et les chaînes pour lier nos passions

 

[1611 ou 1612 .]

 

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            Ma tres chere Fille, toutes les fois que vous treuveres vostre cœur hors de la douceur, ne faites que le prendre tout doucement avec le bout des doigtz pour le remettre a sa place, et non a pleins poings, comme l'on dit, ni brusquement. Il faut bien vouloir servir ce cher cœur [105] dans ses maladies, ouy mesme il faut le caresser quelquefois, et lier nos passions et nos inclinations avec des chaisnes d'or, qui sont les chaisnes de l'amour, affin de les ranger en toutes choses selon le bon playsir de Dieu.

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MMXXX. A M. Jacques de Vallon  (Inédite). Les desseins de Dieu dans la maladie. — Souhaits de santé.

 

Annecy, 7 novembre 1612.

 

            Monsieur mon Cousin,

 

            Je n'ay pas plus tost sceu vostre maladie que vostre guerison. Je loue Dieu de l'un et de l'autre, puisque sans doute c'est sa mesme main paternelle qui nous abbat pour nous faire rentrer en nous mesme, et nous releve pour nous faire [entrer en luy] regarder a luy. Mays je supplie pourtant sa sainte providence que, puys qu'elle vous a acheminé a la santé, il luy playse la vous establir et confirmer pour long tems.

            Et ce pendant, aymes tous-jours cordialement, je vous supplie,

            Monsieur mon Cousin,

Vostre humble, tres affectionné cousin et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            VII novembre 1612.

 

                                   A Monsieur

Monsieur de Vallon,

Gentilhomme de la Chambre de Monseigneur le Duc de Nemours.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Baaksem (Limbourg Hollandais), dans les Archives des RR. PP. Jésuites de la Maison d'Exaten. [106]

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MMXXXI. Au comte Prosper-Marc de Tournon (Inédite) .Envoi d'une lettre de M. de Charmoisy, faussement accusé. — Prière instante de faire valoir son innocence. — Les méchants doivent être tenus en crainte.

 

Annecy, 26 mars 1613.

            Monsieur,

 

            Voyla la response de monsieur de Charmoysi, lequel m'ayant fait sçavoir le sujet d'icelle, je ne me suis pas hasté de vous l'envoyer, l'ayant receue avant-hier, parce que le retour de monsieur de Vaudrey m'a [107] fait sçavoir aussi que tout ce mauvais bruit estoit effacé par les paroles qu'il avoit soustenues devant [Sa Grandeur.]

            Je vous diray donq, Monsieur, si vous me le permettes, ce qui me sembleroit a propos maintenant : c'est qu'il vous pleust, par cette occasion, faire bien valoir l'innocence du cousin, laquelle on tasche, sans rayson ni propos, de rendre suspecte par tant d'inventions et d'exagerations ; car ces petitz mensonges sont bons pour donner connoissance des plus grans. Il nous faut donq tous bien employer pour maintenir le parent innocent, non seulement parce que nous le devons a son merite, mais pour tenir en quelque crainte les meschans par la resistance qu'ilz verront leur estre faitte.

            Monsieur, je vous souhaite toute sainte prosperité et vous demande la continuation de vostre bienveuillance, demeurant a jamais

Vostre plus humble et affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            26 mars 1613.

 

Revu sur une copie conservée au 2d Monastère de la Visitation de Paris. [108]

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MMXXXII. A la Mère de Chantal. Sentiments d'humilité du saint Evêque au jour anniversaire de son sacre. — Pourquoi il ne se décourage pas. — Sa confiance en la Vierge Marie

 

Annecy, 8 décembre 1613 .

 

            Hélas ! ma très chère Mère, que je suis plein de confusion lorsque je me ressouviens des ardeurs avec lesquelles en ce saint jour je sacrifiai en esprit toute ma vie à la gloire de Notre-Seigneur et au salut de ce peuple, il y a onze ans, et quand je considère combien peu j'ai correspondu à ces résolutions ! J'y réfléchis cependant sans perdre courage ; au contraire, j'en ai beaucoup, et d'autant plus que Notre-Seigneur m'a donné une aide qui non seulement m'est semblable, mais qui est une même chose avec moi, de telle sorte qu'elle et moi ne sommes qu'un en un seul esprit. Et puis, la très sainte Vierge, Protectrice de notre sacrifice, relève toujours mon cœur par l'espérance qu'elle me donne de sa faveur. Elle-même [109] prit soin de venir enseigner à saint Grégoire de Néocésarée ce qu'il devait prêcher touchant la foi alors combattue ; aussi veux-je me promettre de sa miséricorde, qu'étant plus attentif à son amour, elle m'apprendra encore à bien espérer et à bien faire.

            Bonsoir, ma très chère et unique Mère, que j'aime parfaitement comme moi-même et plus que moi-même. Je me recommande aux oraisons de nos chères Sœurs que mon cœur salue.

 

 

 

            Ahimè ! mia carissima Madre, quanto sono ripieno di confusione allorchè mi ricordo degli ardori co' quali in questo santo giorno io sagrificai in ispirito tutta la mia vita alla gloria di Nostro Signore ed alla salvezza di questo popolo, undeci anni sono, e quando considero come ho corrisposto poco a queste risoluzioni ! Vi rifletto però senza perdermi d'animo, anzi io ho molto di coraggio, massimamente per havermi Nostro Signore dato un'ajutante che non solamente è simile a me, ma è una medesima cosa con me ; sicchè essa ed io non siamo che uno in uno spirito. E poi, la Santissima Vergine, Protettrice del nostro sagrificio, solleva sempre il mio cuore con la speranza che mi dà del suo favore. Si [109] prese ella cura di venire ad insegnare a san Gregorio di Neocesarea ciò che doveva predicare in ordine alla fede allora combattuta ; onde io voglio promettermi dalla sua misericordia, ch' essendo più attento al suo amore, m'insegnerà anche a ben sperare ed a ben operare.

            Buona sera, mia carissima ed unica Madre, ch' io amo perfettamente come me medesimo e più di me medesimo. Mi raccomando alle orazioni delle care Sorelle che il mio cuore saluta.

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MMXXXIII. A la même (Billet inédit). Un sermon et une malade à la Visitation

 

Annecy, [1612-1614 .]

 

            Je feray volontier ce que vous dites, ma tres chere Mere ; j'[envoierai] advertir M. de Lovagni qui est [110] aux chams. Mays peut estre nostre sermon ne sera guere brave : et qu'importe-il ?

            Bon jour jusques a neuf heures, ma tres chere Mere. Je m'en vay consolé dequoy nostre fille se porte mieux.

 

Revu sur l'Autographe appartenant au docteur Pillet, à Rouen.

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MMXXXIV. Au Baron Prosper de Rochefort. La douleur d'un père sur la perte de son fils, mesurée à son amour. — Heureux ceux qui échappent à ce siècle ! — Manière vraiment chrétienne de parler de la mort. — Nos amis d'ici-bas et ceux de là-haut. — Demander son secours à Notre-Seigneur crucifié

 

Annecy, 20 janvier 1614 .

 

            Monsieur,

 

            Me representant le sentiment que vous aves eu de monsieur vostre filz par le ressentiment que j'en ay eu, je [111] m'imagine qu'il a esté extreme ; car c'est la verité que me resouvenant du contentement que vous preniés a me parler l'autre jour de cet enfant, j'entray en une grande compassion quand je me representay combien vostre regret seroit douloureux a la nouvelle de son deces ; mais je n'osay pourtant vous tesmoigner ma condoleance, ne sachant pas ni que la perte fust certaine, ni qu'elle vous eust esté annoncée.

            Et maintenant, Monsieur, je viens trop tard pour contribuer de la consolation a vostre cœur, lequel aura, je m'asseure, des-ja receu beaucoup de soulagement, pour ne plus demeurer au regret qu'une si sensible affliction luy avoit donné ; car vous aures bien sceu considerer que ce cher enfant estoit a Dieu plus qu'a vous, qui ne l'avies qu'en prest de cette souveraine liberalité. Que si sa providence a jugé qu'il estoit tems de le retirer a soy, il faut croire qu'elle l'a fait en faveur de son bien, auquel un pere bien cherissant comme vous, doit acquiescer doucement. Nostre siecle n'est pas si aggreable, que ceux qui en eschappent doivent estre beaucoup lamentés ; ce filz, pour luy, a, ce me semble, beaucoup gaigné d'en sortir avant presque d'y estre bonnement arrivé.

            Le mot de mort est espouvantable, ainsy qu'on nous le propose, car on nous vient dire : Vostre cher pere est mort ; et : Vostre filz est mort. Et ce n'est pas bien parler entre nous autres Chrestiens, car il faudroit dire : Vostre filz, ou vostre pere s'est retiré en son païs et au vostre ; et parce qu'il le failloit, il est passé par la mort, en laquelle il n'a point arresté. Je ne sçai pas, certes, comme nous pouvons en bon jugement estimer nostre patrie ce monde, auquel nous ne sommes que pour si peu, en comparayson du Ciel, auquel nous devons estre eternellement. Nous nous en allons, et sommes plus asseurés de la presence de nos chers amis qui sont la haut, que de ceux qui sont icy bas : car ceux la nous attendent, et nous allons vers eux ; ceux cy nous laissent aller et retarderont le plus qu'ilz pourront apres nous, et s'ilz vont comme nous, c'est contre leur gré. [112]

            Que si quelque reste de tristesse pousse encor vostre esprit pour le depart de cette douce ame, jettés vostre cœur devant Nostre Seigneur crucifié et demandes luy secours. Il vous le donnera, et vous inspirera la pensee et le ferme propos de vous bien preparer pour faire a vostre tour, a l'heure qu'il a marquee, cet espouvantable passage, en sorte que vous arrivies heureusement au lieu ou nous devons esperer estre des-ja logé nostre pauvre, ains bienheureux defunct.

            Monsieur, si je suis exaucé en mes continuelz souhaitz, vous seres comblé de toute sainte prosperité ; car c'est de tout mon cœur que je cheris et honnore le vostre, et qu'en cette occasion et en toute autre, je me nomme et dedie,

            Monsieur,

Vostre plus humble, tres obeissant serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            20 janvier 1614.

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MMXXXV. Au comte Prosper-Marc de Tournon (Inédite). Aventures d'un paquet de lettres. — Un voyage mystérieux ; honneurs rendus à un officier du duc de Nemours

 

Annecy, 15 juin 1614.

 

            Monsieur,

 

            Vous treuveres les lettres ci jointes de longue datte ; c'est que le sieur Roybon ayant rencontré le sieur de [113] la Bretonniere en chemin, est revenu icy avec luy pour affaires et a rapporté le pacquet que je luy avois donné la semaine passee. Or, estant encor surpris de ce second depart, comme n'ayant pas sceu jusques a present le retour du porteur, je n'adjousteray rien autre, sinon que j'ay donné un livre en main propre audit sieur de la Bretonniere ; si que les trois seront pour ceux quil vous plaira.

            Plusieurs voudroit (sic) bien deviner le sujet du voyage dudit sieur de la Bretonniere ; mays moy, qui n'ay ni le benefice de la prophetie, ni le malefice de la curiosité, je le laisse aller et luy souhaite bon voyage et bonheur. Toute cette ville luy a fait un honneur extraordinaire, tesmoignant que tous les serviteurs de Monseigneur de Nemours portent icy tiltre de tout respect, quand ilz sont de meurs et humeurs non scandaleuses.

            Dieu vous comble de toute sainte felicité, Monsieur, et vous rende de plus en plus favorable a cherir

Vostre tres humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XV juin 1614.

            Je salue tres humblement madame ma cousine.

 

            A Monsieur

Monsieur le Comte de Tornon.

 

Revu sur l'Autographe appartenant au marquis de Monteynard, à Tencin (Isère). [114]

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MMXXXVI. Au duc Roger de Bellegarde (Fragment). Mélange d'amour et de respect. — Motif et but de l'union de deux cœurs

 

Après juillet 1614 .

 

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            Il est vray, Monsieur, je veux des-ormais cherir Vostre Grandeur si fortement, fidelement et respectueusement, que le meslange de la force, de la fidelité et du respect fasse le plus absolu amour et honneur qui vous puisse jamais estre rendu par homme quelcomque que vous ayes provoqué ; en sorte que le tiltre de Pere dont il vous plaist me gratifier, ne soit ni trop haut, ni trop puissant, ni trop doux pour signifier la passion avec laquelle j'y correspondray. Dieu, par apres, la consideration duquel a donné naissance a cette si grande liayson, la benira de sa sainte grace, affin qu'elle soit fertile en toute consolation pour l'un et l'autre des cœurs qui, ensemblement, l'un par l'autre et l'un en l'autre, ne respirent emmi cette vie mortelle que d'aymer et benir l'eternité de l'immortelle en laquelle vit et regne la vie hors de laquelle tout est mort. Et que veux je au Ciel et en la terre pour mon tres honnoré filz et pour moy, sinon de vivre a jamais de cette vie des enfans de Dieu ? [115]

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(MCCCXL). A la Présidente du Favre. Souhait paternel à une âme que la Bonté divine a « saysie ». — Bonheur pour elle d'être toute à Dieu. — Pourquoi elle ne doit pas s'attrister.

 

Annecy, 7 avril 1617.

 

            Je m'imagine que vous estes sur vostre depart pour Languedoc, ma tres chere Fille (car c'est le mot du cœur), et avant que vous soyes en chemin, je vous resalue mille et mille fois, priant Dieu qu'il vous accompaigne et vous tienne tous-jours de sa sainte main, puisque, par sa bonté, il vous a saysie affin que vous fussies a jamais toute sienne.

            Quel bonheur, Madame, d'estre toute a Dieu ! car il ayme les siens, il les protege, il les conduit, il les met au port de la desirable eternité. Demeures donq ainsy, et ne permettes jamais a vostre ame qu'elle s'attriste ni vive en amertume d'esprit ou en scrupule, puisque Celuy qui l'a aymee et qui est mort pour la faire vivre, est si bon, si doux, si amiable.

            Il a voulu, ce grand Dieu, que vous fussies sienne, et vous l'a fait vouloir, et vous l'aves voulu, et il vous a fait prendre tous les vrays moyens pour le devenir. Vous l'estes donques sans doute, ma tres chere Fille, [116] dont je me res-jouis infiniment et en benis sa misericorde, comm' estant certes sans fin,

            Madame,

Vostre plus humble, tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, le VII avril 1617.

 

            A Madame

Madame la Præsidente du Faure.

 

Revu sur l'Autographe appartenant au marquis de Monteynard, à Tencin (Isère).

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(MCCCLX). A Don Jérome Boerio, Général des Barnabites (Minute). Raisons qui demandent le retour en Savoie du P. Baranzano.

 

Annecy, 23 septembre 1617 .

 

            Reverendissimo Padre in Christo osservandissimo,

 

            Parte il P. D. Redento per ritornare in Italia, et per congettura indovino quello che V. P. desidera da lui ; il che essendosi fatto, se cosi pare bene alla molta sua [117] prudentia, saria forse bene che lo facesse ritornare. Il che non direi a V. P. se i Padri di questo collegio non lo desiderassero, et se io non vedessi che detto Padre, havendo imparata la lingua et havendo inclinatione a servire questa natione, non sarebbe poco utile, massime venendo ammaestrato dalla P. V. Rma, et essendo egli buono, pieghevole et semplice, ornato poi de' varii doni di scienza. Però V. P. saprà meglio giudicare quello che sarà convenevole in questo negocio.

            Onde preghandole dal Signore Iddio il colmo delle gratie sue, le resto per fine et senza fine,

Humilissimo fratello et servitore,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            Annessi. [118]

 

 

 

            Très Révérend et très honoré Père dans le Christ,

 

            Le P. D. Redento part pour l'Italie, et je devine, par conjecture, ce que Votre Paternité désire de lui ; après quoi, si votre grande prudence le juge à propos, peut-être serait-il bon que vous le fissiez revenir ici. Je ne dirais pas cela à Votre Paternité si les [117] Pères de ce collège n'en témoignaient le désir et si je ne voyais que lui-même, ayant appris la langue, incline à servir ce pays, auquel il se rendra d'autant plus utile qu'il aura reçu les instructions de Votre Révérendissime Paternité. Il est d'ailleurs bon, pliable, simple et, de plus, orné de plusieurs dons de science. Toutefois, Votre Paternité saura mieux discerner ce qu'il conviendra de faire.

            Aussi, implorant pour elle le comble des grâces de Dieu notre Seigneur, je demeure enfin et sans fin,

Son très humble frère et serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy. [118]

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MMXXXVII. A la Mère de Chantal, a Paris (Fragment). Ce qui a réjoui l'âme du saint Evêque

 

Paris, [janvier-mai] 1619 .

 

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            Que mon ame me fit grand playsir de ne les vouloir pas seulement regarder, et de ne tenir non plus de conte de cela que si j'eusse esté en l'article de la mort, auquel tout le monde ne semble qu'une fumee !

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Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [119]

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MMXXXVIII. Au prince de Piémont, Victor-Amédée (Fragment). Pourquoi l'Evêque de Genève estime nécessaire son retour dans le diocèse

 

Tours, 20 septembre 1619 .

 

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            Je demande à Votre Altesse, par les entrailles de la miséricorde de Notre-Seigneur, de s'employer efficacement afin qu'il me soit permis de me retirer. Je dois, par tous moyens, chercher à le faire pour ne pas offenser Dieu, car j'entends chaque jour des nouvelles qui m'affligent beaucoup ; de sorte que, à cause du relâchement du Clergé, je vois que ma présence est nécessaire en l'évêché de Genève.

………………………………………………………………………………………………. [120]

 

 

 

……………………………………………………………………………………………………..

            Io dimando all'Altezza Vostra, per le viscere della misericordia di Nostro Signore, d'impiegarsi efficacemente affinchè mi sia permesso di ritirarmi. Io devo ricercare ogni mezzo per farlo, per non offendere Dio, sentendo ogni giorno nuove che molto mi affligono ; talchè, per la rilassazione del Clero, vedo essere necessaria la mia presenza nel vescovado di Geneva … [120]

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MMXXXIX. A la Mère de Chantal, a Paris (Fragment). Charité du Saint pour une pécheresse convertie

 

1619 .

 

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            On ne veut point recevoir cette ame pecheresse, quoy que grandement repentante, dans cette Religion reformee. Je voy bien que c'est : tout le monde refuse les [121] pecheurs, sinon Nostre Seigneur ; mais je veux que nous la recevions, a son imitation, dans l'un de nos monasteres.

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MMXL. A M. Melchior de Grilly. Recommandation en faveur des Clarisses d'Evian ; pourquoi le Saint la trouve inutile.

 

Annecy, 16 ou 17 décembre 1619.

 

            Monsieur,

 

            Les bonnes Religieuses d'Evian ont desiré que je vous les recommandasse en l'affaire qu'elles envoyent solliciter aupres de Son Altesse ; mays elles ont tort, ce me semble, car n'ont elles pas avec elles la devote et bienaymée Seur Beatrix, apres l'intercession de laquelle la mienne ne doit point tenir de rang devant vous ? [122] Et neanmoins, puisqu'elles le veulent, je vous supplie donq, Monsieur, de les assister ; comm' aussi de perseverer a m'aymer par vostre bonté, ainsy que vous aves tous-jours fait ci devant, et de croire que je vous veux tres affectionnement honnorer toute ma vie,

            Monsieur, puisque je suis

Vostre plus humble et tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            .. Xre 1619.

 

                        A Monsieur

[Monsieur] de Grilly, gentilhomme de la chambre

            de Monseigr le Serme Prince Cardinal.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Nancy, à la Maison-mère de la Congrégation des Soeurs de Saint-Charles.

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MMXLI. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Fragment inédit). Dieu fait de grandes choses en l'âme qui s'abaisse

 

[1619-1920 .]

 

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            Ma Fille, souvent les fleurs croissent plus belles sur les fumiers que dans les jardins de belle apparence ; a cause de la bassesse ou vous vous tenes, Dieu fera de [123] grandes choses en vous. Tenes vous tous-jours proche de l'Espoux, et il vous donnera son lait et ses mammelles pour nourrir ces cheres jeunes filles dont il veut estre aymé …

 

Revu sur le texte inséré dans un ancien Ms. de la Vie de la Mère de Chastel, conservé à la Visitation de Caen.

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MMXLII. A la Mère de Chantal, a Paris (Fragment). Admirable indifférence de François de Sales

 

Annecy, [janvier-mai 1620 .]

 

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            Dieu, a qui je suis, fasse de moy selon son bon playsir ; peu m'importe ou j'acheveray ce chetif reste de mes jours mortelz, pourveu que ce soit dans sa grace. Selon le sens, j'aymerois mieux le repos de deça, qui me seroit infiniment paysible apres l'issue de l'affaire qui se traitte de dela ; mais je renonce aux sens, au sang et a la chair, et veux servir en esprit et en verité a Dieu et a son Eglise en toutes les occurrences. [124]

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MMXLIII. A Madame de Granieu (Inédite). Aimable plaisanterie. — Le voyage de Rome et un espoir de l'Evêque. — Rien ne nuit à ceux qui veulent aimer Dieu « sur toutes choses et en toutes choses, » pas même leurs défauts.

 

Annecy, 18 juillet 1620.

 

             A peu que je ne me plains (sic) de vous, ma tres chere et tous-jours certes plus tres chere Fille. Et comment ? que j'eusse retenu nostre Seur Superieure de Grenoble par surprise ? Vrayment, je ne suis pas de ces gens-la ; je ne frappe point sans dire : Garde ! Or sus, vous l'aves donq, et vous n'en doutes plus.

            Mays, quand j'eusse eu une grande colere contre vous, ell' eut esté toute appaysee par le doux et gracieux presage que vostre ame bienaymee fait, que nous aurons encor le bien de nous revoir avant mon depart pour Romme ; car je le desire certes grandement, et de plus je le croy, y voyant maintenant des tres grandes apparences, puisque ce voyage commence d'estre douteux.

            Au demeurant, vous estes tellement et si veritablement ma plus que tres chere fille, que si j'eusse remarqué en vous quelque defaut je vous l'eusse dit ingenuement ; mays en si peu de tems on ne les peut pas discerner. Ceux que vous ne connoisses pas ne vous nuiront pas, puisque vous voudries bien sincerement les [125] connoistre ; ceux que vous connoistres ne vous nuiront pas, puisque cordialement vous desires de vous en corriger. Rien ne nuit a ceux qui sont tout a fait resoluz d'aymer Dieu sur toutes choses et en toutes choses. Or, vostre cœur est tel, ma tres chere Fille, et Dieu le benisse a jamais, ce cœur-la, et le tienne tous-jours en la tressainte humilité et douceur interieure.

            Je n'ay nul loysir d'escrire a la chere Mere, mais je la salue de tout mon cœur par l'entremise du vostre tres cher, ma Fille, que Dieu a uni au mien en sa sainte dilection.

            Annessi, le XVIII julliet 1620.

 

            A Madame

[Madam]e de Granieu.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Bourg-en-Bresse.

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MMXLIV. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Fragment inédit). Ne pas tourmenter son cœur, ni s'attendrir sur soi-même

 

[1619-1621 .]

 

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            Je voy que vostre cœur a tous-jours un grand desir de bien faire et une crainte de l'imprudence ; mais ne le tourmentés point, je vous prie, ce cœur bien-aymé ; redresses le doucement pour l'amour de Dieu a qui il est dedié, qui le benira et favorisera en tout ce qui sera pour sa gloire. [126]

            Il faut estre tres humble et courageuse, et Dieu sera vostre force. Gardes vous bien des attendrissemens et des larmes qui proviennent de l'amour et compassion que nous avons sur nous mesme.

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Revu sur le texte inséré dans un ancien Ms. conservé à la Visitation de Bourg-en-Bresse.

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MMXLV. Au duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Inédite). Recommandation en faveur d'un nouveau converti, fils d'un hérétique obstiné. — Eloge de son courage dans les durs assauts qu'il a dû soutenir pour la foi. — Pourquoi le gentilhomme, réduit à la pauvreté, ne peut profiter des libéralités assignées par le Duc à la Sainte-Maison de Thonon. — Le marquis de Lullin le présentera à Son Altesse.

 

Annecy, 17 juin 1621.

 

            Monseigneur,

 

            Me resouvenant avec extreme consolation du grand zele que Vostre Altesse tesmoigna a la conversion des huguenotz a Thonon, il y a 25 ans, et sur tout du soin qu'elle prit pour le sieur Depréz, l'un des plus obstinés d'entre eux et qui, par son malheur, ne sceut pas faire son proffit de la debonaireté de son Prince souverain, [127] je prens une sainte confiance en la pieté de Vostre Altesse, Monseigneur, pour la supplier qu'en lieu du pere il luy playse recevoir le filz, qui, ayant tres bien estudié es loix et se treuvant fort estimé parmi les heretiques, apres avoir meurement examiné les raysons catholiques, avec un courage que Dieu seul peut donner, a la veüe de son pere et de tous ceux de ce malheureux parti, et, s'il se peut dire ainsy, les foulant saintement aux pieds, fit la profession publique de la foy catholique il y a justement un moys ; et apres avoir soustenu une rude batterie de convices, injures, reproches et calomnies, qui sont les armes des hæretiques, en fin s'est retiré, comme au port, dans les Estatz de Vostre Altesse delaquelle il est nay sujet et vassal, dont il s'estime fort heureux. Mays comm' il a quitté son pere pour Dieu, il a quant et quant quitté tous les moyens de sa mayson ; et si ceux que Vostre Altesse donne a la Sainte Mayson de Nostre Dame de Compassion de Tonon pour le refuge des convertis estoyent effectivement receuz selon son [128] intention, j'eusse procuré qu'il en eut eu sa part ; mays cela n'estant pas, je supplie tres humblement Vostre Altesse de le gratifier de sa providence paternelle, affin que par sa liberalité, ou par l'employ de la personne d'iceluy, il puisse subsister. Et puisque monsieur le Marquis de Lulin, qui l'a recueilly fort charitablement, le presentera a Vostre Altesse, je ne m'estendray pas davantage en cette supplication, sachant combien Vostre Altesse prend de playsir a bien faire.

            Ainsy Dieu la face de plus en plus prosperer, et je suis invariablement,

            Monseigneur,

Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XVII juin 1621, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la comtesse Vassallo Peyron, à Turin. [129]

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MMXLVI. A la Mère de Chantal (Fragment). Ardentes aspirations du saint Evêque

 

Annecy, 6 janvier [1621 ou 1622 .]

 

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            Ah ! quand serons nous entierement mirrhe par mortification, encens par orayson et or par charité ? Quand traitterons nous des affaires de ce siecle avec les yeux fichés au Ciel ? Quand affectionnerons nous un chacun au rang qui luy appartient, selon le desir de Nostre Seigneur ? Quand ne chercherons-nous plus rien pour la consolation de nos cœurs ? Quand ne chercherons nous plus que Celuy qui nous va par tout cherchant pour avoir nos coeurs et les remplir de benedictions ? O qu'il est desirable que nous aymions Dieu solidement et constamment ! … [130]

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MMXLVII. A une Supérieure de la Visitation (Fragment). Les grandes résolutions d'un Fondateur

 

1621-1622 .

 

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            J'ay fait des resolutions bien grandes de me reposer [130] entierement en Dieu, de suivre tranquillement sa providence et de ne tenir gueres de conte de cette prudence naturelle, specialement es choses qui dependent de la celeste grace, comme les vocations de nos Seurs, l'erection des Maysons et la conduite d'icelles.

            Soyes toute courageuse, ma chere Fille ; Dieu est nostre Tout, et il tient le cordeau de nostre conduite dans les labyrinthes et embarras que la sagesse humaine fait en cette vie mortelle ; tout reuscit a bien a ceux qui l'ayment

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MMXLVIII. A Monseigneur Jean-Pierre Camus, Evêque de Belley (Fragment). Comment l'Evêque de Belley est à la fois père, frère et fils de l'Evêque de Genève.

 

[Fin 1609-1610 .]

 

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            De mesme, je vous veux regarder comme pere, a [131] cause des advantages de nature et de grace que Dieu vous a donnez au dessus de moy ; et comme frere, puisque Dieu nous a mis en mesme rang de pastorat en l'Eglise de Dieu. Et puisque vous le voules ainsi, comme fils (et fils unique, puisque Dieu ne s'est point servi de mon ministere pour consacrer aucun autre Evesque que vous), à raison de la grace que Dieu a respanduë en vostre ame par l'imposition de mes mains ; grâce que je ne vous conjure pas de resusciter en vous, car je suppose qu'elle n'y est jamais morte, mais de ne la laisser point vuide, c'est a dire inutile, mais de l'employer utilement au service de nostre grand Maistre, selon les talens qu'il a pleu a sa bonté vous communiquer. [132]

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MMXLIX. Au même (Fragment). Le fardeau du cinnamome et le faix des moissonneurs. — Martyrs et confesseurs tout ensemble

 

[Fin 1609 ou 1610 .]

 

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            Quel honneur pour vous, quel bonheur, que Dieu s'en daigne servir pour deslier tant de pauvres ames, ou les retirer de la mort du peché, qui est la region de l'ombre de mort, pour les ramener au jour et à la vie de la grace ! Ce fardeau est semblable a celuy du cinnamome, qui fortifie et recree par son odeur celuy qui en est chargé. Il en est comme des vendangeurs et des moissonneurs, qui ne sont jamais si contens et joyeux que quand ils plient souz leur faix : qui les a jamais oui plaindre de l'exces de la moisson ou de la vendange ?

            Je voi bien pourtant que vous voules que je vous pleigne un peu et que je soufle sur vostre agreable mal ; or sus, ainsi soit-il. Je vous avouë donc, que, comme l'on appelle martyrs ceux qui confessent Dieu devant les hommes, c'est a dire qui rendent tesmoignage par leurs souffrances à la verité de la foy, il n'y auroit pas grand danger quand on appelleroit ceux la encore martyrs, en quelque maniere, qui confessent les hommes devant [133] Dieu, voire quand on les nommeroit confesseurs et martyrs tout ensemble.

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(DCLXVII ?). Au même (Fragment). Le salaire et le bonheur de ceux qui enseignent aux autres les voies de la justice. — Une « chose royale. »

 

[Annecy, 7 mars 1611 .]

 

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            Tout homme qui veut enseigner aux autres les voyes de justice, se doit resoudre à souffrir leurs inegalitez et injustices, et à recevoir leurs ingratitudes pour son salaire. O que vous serez heureux quand les hommes mesdiront de vous et en diront toute sorte de mal, en haine de la verité que vous leur proposerez ! Resjoüissez-vous avec beaucoup d'allegresse, d'autant que vostre loyer est grand dedans les cieux. C'est une chose royale d'estre calomnié pour avoir bien fait et d'estre lapidé pour une bonne œuvre. [134]

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MML. Au même (Fragment). Deux lois impérieuses. — Soldats déférents à l'égard de l'Eglise. — Les permissions qu'il faut leur donner

 

Annecy, fin février ou commencement de mars 1613 .

 

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            Vrayement, vous avez bonne grace de me consulter sur ce que des soldats mangeront en Caresme, comme si la loy de la guerre et celle de la necessité n'estoient pas les deux plus violentes de toutes les loix et par delà toute exception ! N'est-ce pas encore beaucoup que ces bonnes [135] gens se sousmettent à l'Eglise et luy deferent à respect, de demander son congé et sa benediction ? Certes, ils font mentir celuy qui a chanté que

 « Nulla fides pietasque viris qui castra sequuntur. »

            Dieu vueille qu'ils ne fassent rien de pis que de manger des œufs ou des bœufs, des fromages ou des vaches ; s'ils ne faisoient point de plus grands desordres, il n'y auroit pas tant de plaintes contre eux.

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MMLI. A une Religieuse de la Visitation (Fragment). Comment vivre en union avec la Sainte Vierge.

 

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            Ma Fille, ne quittes point de veuë la sacree Vierge, vostre sainte Dame ; ayes-la tous-jours presente, non par imagination qui tyrannise votre teste, mais par affection qui dilate vostre cœur, et par memoyre qui occupe saintement vostre ame…

 

Revu sur un ancien Manuscrit de l'Année Sainte de la Visitation, conservé au Monastère d'Annecy. [136]

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Menus fragments

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MMLII. A la Mère de Chantal

 

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mais bien sain, Dieu merci, pour tout le reste.

            Je feray tenir vos pacquetz, et seray eternellement, comme vous sçaves, vous mesme. Nostre Seigneur soit a jamais au milieu de nostre cœur.

 

Revu sur l'Autographe appartenant au comte d'Asnières de Sales, à Metz, par Annecy.

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MMLIII. A la même

 

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est pas treuvé. Cependant, mille et mille fois le bonsoir, et Dieu soit vostre repos. Amen.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Depierre, veuve Michel, à Nice.

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MMLIV. A la même

 

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Cependant, en verité, cela n'est rien que vraye santé.

            Bonsoir, ma tres chere Mere ; Dieu benisse nostre cœur. Amen.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Verneuil, dans le trésor de l'église Notre-Dame. [137]

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MMLV. A une personne inconnue

 

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et mon intention encores ; quil me faschoit, apres avoir demeuré vingt ans ensemble, de nous separer sans sujet. Il persista encores ; et je luy dis quil y penseroit encor un peu, et puis

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Chambéry.

 

MMLVI. A une personne inconnue

 

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si suis je bien de la chere petite Catine, qui est bien joyeuse, ce me semble, d'estre aupres de monsieur son grand …

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Nancy.

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MMLVII. A une dame

 

            Madame,

 

            Je prendray tous-jours a beaucoup d'honneur de recevoir non seulement vos lettres, mais aussi vos …

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Turin. [138]

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MMLVIII. Adresse d'une lettre au Chanoine de Sales

 

                        A Monsieur,

            Monsieur de Boisy,

                        Chantre et Chanoyne de l'Esglise cathedrale de Geneve.

                                                                                  A Nicy.

            En son absence, a madame de Chantal, qui ouvrira le pacquet et la lettre du Sr de Boysi, pour faire selon icelle au plus tost.

                                                                                                          A la Visitation.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Rennes.

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MMLIX. Adresse d'une lettre a la Mère Favre

 

 

                        A ma tres chere Seur en N. Sr.,

            Ma Seur Marie Jaqueline Favre, Superieure de Ste Marie.

                                                                       A Lyon.

 

            Soit remise a monsieur Jaquet, maistre des Postes, qui, pour la consolation de monsieur de Montelon, en aura soin, sil luy plait.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Reims. [139]

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Fragments de lettres a Sainte Jeanne-Françoise de Chantal. 1604-1622

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MMLX. Dans le trouble et l'inquiétude, remettre tout à Dieu. — Le « coup de fouet » de sa main divine. — Retranchements à faire

 

[1604-1605.]

 

             Vous estes au vray chemin, encor que vous y rencontries de la fange et mille choses fascheuses. Ne vous estonnes de rien qui puisse arriver ; recommandant tout [140] a la misericorde de Dieu, suives tous-jours ce chemin, car il n'y en a point d'autre.

            S'il vous survient quelque trouble ou inquietude, de quelque part que ce soit, ne vous empresses point pour les chasser. Divertisses vous le plus que vous pourres ; ne les regardes point, ne les espluches point, mays remettes vous humblement en Dieu, luy recommandant le tout. Receves le comme [un] coup de fouet de sa main, lequel vous aves bien merité.

             Vuidés vostre cœur de toute image des choses corporelles ; retranchés tant que vous pourres toutes actions et paroles mondaines, affectees et inutiles.

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MMLXI. L'âme qui ne veut pas offenser Dieu ne doit pas pointiller autour de ses actions. — « Un des grans articles du prouffit spirituel. » — La lecture pieuse

 

[1605-1607.]

 

             Je vous recommande sur tout de vous accuser en confession clairement, franchement et simplement. Je [141] ne veux plus que vous marchies comme un enfant, pointillant tant autour de vos actions, les espluchant de si pres ; contentes vous que vous ne voudries, pour mourir, offencer Dieu a escient. Alles donq rondement, franchement, grosso modo, a la bonne foy.

             Adores Dieu le plus souvent que vous pourres par des courtz mais ardens eslancemens de vostre cœur, desquelz je vous ay si souvent parlé. Admires souvent sa bonté, faites luy des reverences interieures, jettes-vous au pied de sa sainte Croix, invoques son ayde, interroges le souvent de vostre salut, donnes luy mille fois le jour vostre ame. Quelquefois ne luy dites mot, mais jettes un simple regard sur sa douceur. C'est icy un des grans articles du prouffit spirituel, parce que nostre esprit hantant si souvent et familierement son Dieu, il se parfume tout de ses perfections.

            Repetes souvent vos grandes resolutions de ne jamais vouloir offencer Dieu, comme faysoit David, s'escriant : Non, mon Sauveur, jamais eternellement je n'oublieray vos saintes volontés, car en icelles, vous m'aves vivifié.

            Lises peu a la fois, mais avec attention et devotion, et si vous rencontres quelque chose qui vous console, esleves vostre esprit, benisses Dieu qui l'a inspiré a l'escrivain. [142]

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MMLXII. Pour quel motif surtout aimer les parents. — Les vertus « de cœur » et les vertus apparentes. — Dans les maladies spirituelles et corporelles, user des remèdes voulus par Dieu, mais s'en remettre, pour le résultat, à son bon plaisir. — Un sentiment et un ardent désir du Saint

 

a)

 

[1605-1607.]

 

             Outre les deux ordinaires motifz d'aymer les parens et amis, par nature et consideration de vostre devoir, adjoustes le troysiesme : parce que Dieu veut que vous les aymies en luy, par luy et pour luy, car cet amour est eternel, et non point fragile ; doux, mais non point pliable ; ardent, mais non point empressé ; affectionné, mais non point chastouilleux. Que vous seres heureuse si vous prattiques bien cet advis !

            Exerces-vous a l'office angelique, de faire des bonnes inspirations a ceux avec lesquelz vous converses.

            Sur toutes les vertus, je vous recommande les deux cheres vertus que Nostre Seigneur desire tant que nous apprenions de luy, c'est a sçavoir : l'humilité et la douceur de cœur. Mays prenes garde que ce soyent des vertus de cœur, vous resouvenant de ce que je vous ay dit : que c'est un des grans artifices du diable de faire que plusieurs s'amusent a dire des parolles et faire des gestes exterieurs des vertus, lesquelz, n'examinant pas les affections de leur cœur, pensent estre humbles et doux, et ne le sont neanmoins point en effect.

 

b)

 

            Tenes vostre cœur au large, reposés-le souvent entre les bras de la Providence divine. Tout ce qui nous arrive nous vient indubitablement de la volonté de Dieu, hormis le peché. Mais cette mesme volonté de Dieu qui nous envoye les maladies spirituelles ou corporelles veut que nous nous servions des remedes qu'elle donne, et que nous tenions nostre volonté preste pour recevoir ou la [143] guerison ou la continuation du mal, comme bon luy semblera. Il faut souvent que vous adories la Providence divine et vous y remetties en toute occasion.

 

c)

 

             Vives joyeuse. Courage, servons bien Dieu, ma chere Fille ; tenons nos cœurs bien fichés dans son costé sacré, ne nous troublons de rien. Cheminons tout a la bonne foy avec luy, car il est bon et nous ayme indubitablement. Je suis bien honteux de ne point sentir son amour en mon ame, mays je sens neanmoins l'amour de son amour, et voudrois bien le respandre en toutes les ames que je rencontre. Qu'a jamais puisse-il combler nos cœurs : c'est mon unique souhait. Amen.

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MMLXIII. Les effets de l'amour pur à l'égard du prochain expliqués par une belle comparaison. — Comment cet amour parfait se communique. — Le corail et l'amitié

 

[1605-1607.]

 

             Les amitiés cimentees au sang de l'Aigneau n'ont pas besoin de tant de ceremonies.

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             Il est vray que l'amour pur lie inseparablement les [144] cœurs sans toucher les cors. Ainsy saint Gregoire Nazianzene et saint Basile s'entr'aymoyent de cet amour qui, comme un fleuve abondant en eau claire, va doucement la prestant a la campaigne pour toutes sortes de commodités, sans bruit, sans ravages, sans flotz ; car il coule et ne flotte point, il arrouse et ne ravage point, il gazouille et ne bruit point. De mesme, l'amour parfait du prochain qui est selon Dieu, se communique en diverses manieres : il l'ayde par paroles, par œuvres et par exemple ; le prouvoit de toutes ses necessités entant qu'il luy est possible ; il se res-jouit de son bonheur et felicité temporelle, mais beaucoup plus de son avancement spirituel ; luy procure les biens temporelz entant qu'ilz luy peuvent servir pour obtenir la beatitude eternelle ; luy desire les principaux biens de la grace, les vertus qui le peuvent, selon Dieu, perfectionner ; les luy procure par toutes les voyes licites avec grande affection, mais avec quietude d'esprit, sans aucune alteration ; avec une pure charité, sans aucune passion de tristesse ou indignation pour les evenemens contraires.

            Et comme le corail, tandis qu'il est en la mer, est un arbrisseau mossu, verdastre et sans beauté, si tost qu'il en est tiré, il rend son vermeil et son lustre : de mesme, tandis que l'amitié trempe aux objectz des sens, elle n'a ni beauté ni bonté ; mais si tost qu'elle est tiree en Dieu, en l'esprit, en la charité, elle se treuve en sa perfection.

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Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [145]

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MMLXIV. Pourquoi la souffrance, et comment l'endurer. — Trois remèdes contre le trouble qu'apportent à l'âme les évènements de cette vie

 

[1005-1608.]

 

             Resouvenés vous souvent que Nostre Seigneur vous a sauvee en souffrant et endurant, et que, de mesme, nous devons faire nostre salut en souffrant les injures et les contradictions et desplaysirs ; et partant, il les faut endurer avec le plus de douceur et de resignation qu'il sera possible, selon la mesure qu'il plaist a Dieu les nous envoyer.

             Pour ne vous point troubler de ce qui arrive en cette vie temporelle, penses souvent a sa briefveté et a l'eternité de la future ; penses aussi a la Providence de Dieu, laquelle, par des ressortz inconneus aux hommes, conduit toutes sortes d'evenemens au prouffit de ceux qui le craignent. Consideres tout ce qui vous est arrivé de fascheux jusques a present, et comme tout cela est esvanouy et dissipé, car il sera de mesme en ce qui vous arrivera des-ormais : si qu'il faut avoir une douce patience en tous evenemens.

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MMLXV. Respect qu'on doit porter aux prêtres. — Le Directeur veut pouvoir manier l'âme de la Baronne. — Les actes d'amour et de confiance seront le remède à tous ses maux intérieurs. — Exemple de la femme mariée, proposé à l'âme épouse de Jésus-Christ

 

[1605-1608.]

a)

 

             Je n'appreuve nullement que l'on se serve des prestres comme des valetz de mayson, pour le seul trafiq [146] des choses temporelles ; car encores que quelquefois la pauvreté le leur permette et face desirer, veu qu'ilz sont rustiques et gens de peu, si est ce qu'il ne faut pas que nous perdions le respect deu a leur qualité et caractere. Je voy que par tout on les regarde selon leur extraction et condition temporelle ; mais je ne le puis souffrir sans mal de cœur.

 

b)

 

             Ma chere Fille, non certes, je ne doute ni peu ni prou de vostre confiance ; aussi vous dis-je que je veux vous employer comme chose qui m'est entierement remise, pour estre maniee selon mon gré au service de Dieu.

            Le remede a toute tentation, secheresse, contradiction, bref a toutes choses generalement, sont les actes d'amour, lesquelz se feront vivement et promptement, retournant simplement son cœur a Nostre Seigneur avec des paroles pleines de confiance et d'amour, sans regarder ni disputer contre la tentation ou la chose qui fasche, mais comme feignant de ne la point voir, sans neanmoins tant multiplier les paroles d'amour. Et comme la femme mariee n'a son recours en tous ses travaux qu'a son mari, et ne veut conserver son honneur que pour le seul amour qu'elle luy porte, et non pour la crainte du deshonneur ou pour le desir de l'honneur, ainsy en doit faire l'ame fidele a l'endroit de son cher Espoux Jesus.

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MMLXVI. Un mot de saint Augustin. — Dieu répond à tous ceux qui lui demandent conseil ; d'où vient que beaucoup n'entendent pas sa réponse ? — Le serviteur fidèle. — Comment combattre la vaine gloire. — L'obéissance amoureuse et la simplicité.

 

[1606-1608.]

 

            Saint Augustin dit qu'il rapportoit « a Dieu ce qu'il pouvoit voir et penser, bien que ce fust chose de petite [147] consequence et de neant ; toutefois, il luy en demandoit conseil du mieux qu'il luy estoit possible, comme a la Verité qui preside. » Plusieurs personnes demandent conseil a Dieu de diverses choses ; il respond a tous par une seule response et tout a coup, par parole ouverte et claire ; mais ilz ne l'entendent pas tous-jours, bien qu'il ayt parlé clairement, car ilz s'addressent a luy pour demander conseil de ce qu'ilz veulent, et ilz n'ont pas tous-jours ce qu'ilz demandent. Celuy, a la verité, est tres bon et fidele serviteur qui ne regarde d'avoir response conforme a sa volonté, mais veut seulement ce qu'il oyt et entend estre a Dieu aggreable par la response qu'il luy plaist de faire, conformant sa volonté a celle de la divine Majesté.

             Si tost que l'entendement vous representera quelque gloire ou honneur, ou que le monde vous en donnera, incontinent jettes-les tous aux pieds de Nostre Seigneur par un simple regard, luy baysant les pieds ou les mains.

Saint Pierre dit : Purifies vos ames en l'obeissance laquelle ne procede pas de la seule necessité, ains d'une franche volonté et desir de plaire a Dieu. La volonté du superieur, en quelque façon que nous la connoissions, nous doit servir de precepte. Les considérations que je desire en vostre obeissance, elles sont toutes en une : car je ne desire que la simplicité, laquelle fait acquiescer doucement le cœur aux commandemens et fait qu'on s'estime bien heureux d'obeir, mesme aux choses qui repugnent, et plus en celles-la qu'en nulle autre.

            Ne desires rien que ce que Dieu veut. Faites ce que celuy qui vous a en charge dit, pourveu que vous n'y reconnoissies point de peché ; et par consequent, veuilles ce que veut vostre superieur, et vous voudres ce que Dieu veut : et vous voyla vrayement obeissante et contente.

            Je prie Dieu qu'il vous octroye cette grace, de l'amour de la volonté de Dieu. [148]

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MMLXVII. Les vœux du Père pour lui-même et pour sa Fille spirituelle. — La mortification dans les repas. — Quel est le seul désir qui remplit le cœur de François de Sales.

 

[1606-1608.]

a)

 

            Je suis tous-jours plein de desirs que Jesus Christ nous remplisse en toutes les parties de nostre ame, et qu'il nous pousse en l'interieur et en l'exterieur ; qu'il soit le mouvement et le repos de nostre cœur, affin qu'en tout et par tout il soit glorifié en nous. Amen.

 

b)

 

            Deux ou troys fois la semaine, mortifies vous au manger, laissant ce qui viendra le plus a vostre goust et mangeant ce qui y sera le moins. Esvites tout choix, tant que vous pourres. C'est grand cas ! je suis tous-jours apres ces choix que je voudrois que nous n'eussions point, pas mesme parmi les hommes ; combien moins avec Dieu.

 

c)

 

            VIVE JESUS ! O ma Fille, que je desire de l'aymer et que je voudrois bien que chacun l'aymast ! Mon cœur est vuide de tout autre bien que de celuy la. Je vous recommande ce cœur. VIVE JESUS !

 

d)

 

            Vives joyeuse, ma chere Fille, et conserves uniquement vostre cœur pour vostre Sauveur. Je le supplie qu'il soit nostre Tout et que nous soyons tout a luy. [149]

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MMLXVIII. Aimer indistinctement toutes les croix qui nous arrivent. — Quelles sont les meilleures. — Les croix « un peu mignardes ». — Ce qui donne le prix à la croix.

 

[1604-1609.]

 

             On n'a jamais sceu d'asseurance de quel bois la Croix de Nostre Seigneur fut faite ; c'est, je pense, affin que nous aymassions esgalement les croix qu'il nous envoyeroit, de quel bois qu'elles fussent composees, et que nous ne dissions pas : cette croix ou celle-ci n'est pas aymable parce qu'elle n'est pas de tel ou de tel bois.

            Les meilleures croix sont les plus pesantes, et les plus pesantes sont celles qui nous sont plus a contrecœur selon la portion inferieure du cœur. Les croix que l'on rencontre emmi les rues sont excellentes, et encor davantage celles que l'on treuve dans la mayson ; a mesure qu'elles sont plus importunes, elles sont meilleures que les cilices, les disciplines, les jeusnes et tout ce que l'austerité a inventé. C'est la ou paroist la generosité des enfans de la Croix et des habitans du sacré mont de Calvaire.

            Les croix que nous faysons ou que nous inventons sont tous-jours un peu mignardes, parce qu'il y a du nostre, et pour cela elles sont moins crucifiantes. Humilies vous donq, et receves joyeusement celles qui vous sont imposees sans vostre gré. La longueur de la croix luy donne son prix, car il n'y a peyne dure que celle qui dure. Soyes fidelle jusques a la mort, et vous aures la couronne de gloire. Vous estes amoureuse du Crucifix : et que voules vous donq estre, sinon crucifiee, puisque « l'amour esgale les amans » ? [150]

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MMLXIX. L'humilité et l'amour du mépris, pierre de touche de l'avancement de l'âme. — Quelle doit être son attitude dans les outrages et les louanges. — Moyen d'attirer en soi les grâces de Dieu. — L'acceptation de notre misère nous approche de lui.

 

[1605-1609.]

a)

 

             Je desire que vous soyes extremement humble en toutes vos œuvres. Converses tous-jours humblement avec tous, ne tenes conte d'estre reputee et loüee, mais desirés d'estre mesprisee et rebutee ; et jusques a ce que vous soyes parvenue a ce degré d'abjection, ne penses pas avoir prouffité. Nous sommes veritablement serviteurs inutiles ; il n'est meilleur exercice que de se mespriser soy mesme. Tenes comme un prouffit pour vostre ame les outrages et injures qui vous seront faitz, et vous en res-jouisses. Ne vous attribues point les louanges des bonnes œuvres et actions, mais portés tout aux pieds de Jesus Christ qui en est l'autheur ; autrement vous luy desroberies sa gloire. Ne desires point d'estre conneuë pour humble, mays pour vile et abjecte.

             « L'on parvient a l'humilité par l'humiliation et le contemnement de soy mesme, » dit saint Bernard ; « et il m'est expedient que mon » impuissance et « insipience soit conneuë et, quant et quant, confondue et blasmee de ceux qui la connoistront, car souvent il m'est advenu d'estre injustement loué de ceux qui ne me connoissoyent. » Celuy qui desire beaucoup de graces doit sentir humblement de soy et ne se pas eslever.

             D'autant plus que l'on perd de consolation pour Nostre Seigneur, d'autant plus on se doit res-jouir de la perdre, puisqu'il sçaura bien nous la rendre. [151]

 

b)

 

             Dieu nous souffre dans nos inutilités, miseres et malices, et nous devons vouloir estre pauvres, infirmes, miserables et imparfaitz pour Dieu. Nous ne sommes point esloignés de Dieu par cette indisposition, ains nous nous en approchons, d'autant que l'amour nous sanctifie dans ces estatz qui semblent si bas.

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MMLXX. Compassion surnaturelle du Saint pour les souffrances de sa Fille. — Les holocaustes de l'ancienne Loi et l'écorchement du cœur. — Dieu nous aime : qu'importe le reste ? — Jésus-Christ a tout souffert pour s'unir à son épouse ; que doit faire celle-ci pour lui « tesmoigner ses amours reciproques » et le baiser ?

 

[1607-1609.]

 

            J'ay de la compassion, sans mentir, mays une compassion douce et souëfve, pour l'esperance que j'ay de voir vostre jeunesse renouvellee sous l'effort de ces afflictions interieures. Non, on n'offroit point d'holocauste en l'ancienne Loy qu'elle ne fust du tout escorchee : il faut que vostre cœur soit escorché tout vif, pour estre offert en holocauste vivant a nostre Dieu. Resignations, renoncement des consolations exterieures, des interieures, des corporelles, cordiales : que nous doit-il chaloir de tout cela, pourveu que Dieu [nous] ayme ? et il nous ayme, pendant que de la pointe de nostre cœur nous nous tenons a luy. Courage, ma Fille ! ce vent de tempeste nous conduira a bon port.

            A Dieu, ma chere Fille ; a Dieu, dis-je, soyes-vous, et vous, et vostre cors, et vostre cœur, et vostre ame. Il a bien esté tout nostre : son cors en croix, son cœur en angoisse, son ame en tristesse, et tout ce qui estoit en [152] luy ; il se contenta de tout souffrir pour adherer a son espouse. Mon Dieu, que souffrons-nous a l'esgal ? Oh ! que la rayson veut bien que l'espouse souffre quelque chose pour tesmoigner ses amours reciproques et adherer a son Espoux. Jesus Christ est sur la croix : qui le veut bayser, il faut gravir sur la croix et se piquer aux espines de sa couronne.

            VIVE JESUS, VIVE MARIE ! Amen.

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            A Dieu, ma chere Fille : la sacree Vierge nostre Dame soit a jamais nostre belle estoille, et son Filz nostre unique Soleil. Amen.

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MMLXXI. S'abandonner à Notre-Seigneur et dépendre de sa Providence. — Une « resolue resolution ». — En quoi consiste l'amour de Dieu. — La seule gloire à chercher. — Aspirations suggérées pour s'unir à la volonté divine.

 

[1608-1610.]

a)

 

             Alles fort doucement et paysiblement, continues vos exercices ; laysses a Nostre Seigneur toutes vos affections et vos desirs. Unisses vous tant qu'il vous sera possible a luy, resignes vous en toutes choses a sa divine volonté, dependes absolument de sa disposition et vous confies pleinement a la providence et amour de sa divine Majesté, luy donnant vostre cœur cent fois le jour. Que vostre affection soit en la partie superieure, par une ferme et resolue resolution de n'abandonner jamais la confiance et l'obeissance que vous deves.

 

b)

 

            Nous ne sçavons pas que c'est d'aymer Dieu. Il [l'amour] ne consiste pas aux plus grans goustz et sentimens, mais en la plus grande et ferme resolution et [153] desir de contenter Dieu en tout, et tascher, autant que nous pouvons, de ne l'offenser point, et de prier que la gloire de son Filz aille tous-jours augmentant. Ces choses sont signes d'amour.

            Penses souvent aux vertus de Nostre Seigneur par forme d'entretien, et a celles des Saintz.

             Rejettes souvent toute sorte de gloire, et protestes que vous ne voules autre gloire que celle de Nostre Seigneur. Quittes, renonces aussi ce qui vous pourroit apporter quelque gloire, selon les occasions petites ou grandes.

            Unisses vous souvent a la volonté de Nostre Seigneur aux occasions petites et grandes, et par aspirations, disant : Seigneur, je suis vostre ! Je veux ce que vous voules. Faites en moy vostre volonté. Unisses-moy a vous.

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MMLXXII. L'examen du cœur et ce qui doit le tenir en repos. — Un acte toujours en notre pouvoir. — Confiance en Notre-Seigneur ; quelle est la mesure de sa Providence à notre égard. — S'attacher à la fin et non aux moyens. — Manière de combattre les pensées de jalousie. — L'esprit de douceur et l'esprit de souffrance. — Il faut s' « accommoder » à sa croix.

 

[1608-1610.]

 

            Celuy qui veut estre entierement a Nostre Seigneur doit souvent examiner son cœur pour voir s'il est point attaché a quelque chose de la terre ; et s'il treuve qu'il n'y a rien que ce soit qu'il ne voulust quitter pour faire la volonté de Dieu, c'est une grande fidelité, avec laquelle il doit demeurer en repos, et doit prendre tout ce qui luy arrive comme de la main de Dieu, simplement.

            Nous n'avons rien en nostre pouvoir que le simple acte de foy : c'est pourquoy il ne nous faut point fascher quand nous n'avons ou ne pouvons ceci ou cela ; il faut tout attendre de la volonté de Dieu. [154]

            Pour la confiance, il suffit de connoistre son infirmité, et dire a Nostre Seigneur que l'on veut avoir toute sa confiance en luy. La mesure de la Providence divine sur nous est la confiance que nous y avons. O Dieu ! reposons nous entierement sur cette Providence sacree, et demeurons entre ses bras comme un petit enfant sur le sein de sa mere.

            Il se faut attacher a la fin, qui est Dieu, et a sa volonté, et non pas aux moyens ; il s'y faut bien affectionner, mais non pas en sorte que si Dieu les oste il s'en faille troubler. Allés tout a la bonne foy ; aux choses d'importance que vous feres, soyes seulement attentive. N'alles pas examinant tant de petites choses ; que vostre cœur soit fort resolu. Je veux que vous observies ces regles.

            S'il arrive des pensees d'envie, celuy contre lequel elles viendront il le faut embrasser avec le cœur et, comme si l'on le tenoit entre ses bras, le porter et colloquer dans le sein de Nostre Seigneur et nous loger au fin bas lieu.

            L'esprit de douceur, c'est le vray esprit de Dieu ; l'esprit de souffrance, c'est l'esprit du Crucifix. Et partant, croyes moy : l'on peut faire entendre la verité et faire les remonstrances, mays tout doucement. Il faut avoir l'esprit d'indignation contre le mal et estre fort resolu de n'y acquiescer jamais ; il faut pourtant demeurer avec grande douceur a l'endroit du prochain.

            Maintenant que vous communies si souvent, dame, il faut faire les œuvres des grandes vertus. Mortifies vous en ces petites saillies contre les imperfections du prochain, les reprimant avec l'esprit de douceur. Feres-vous pas en fin ?

            La croix est de Dieu : il ne [la] faut point regarder, mais s'y accommoder, comme l'on feroit avec une personne avec laquelle il faudroit tous-jours demeurer ; il n'y faut plus penser, mais aller doucement, et prendre toutes [155] choses simplement, dè la main de Dieu, sans aucune reflexion. Nudité et simple unité d'esprit, et la dessus faire l'examen.

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MMLXXIII. « La parole de la fervente indifference ». — Leçons à apprendre de saint Paul. — Moyen d'acquérir la promptitude à faire le bien.

 

[1610-1613.]

 

            Que la parole de saint Paul : Que vous plaist il que je fasse ? soit a jamais la parole de nostre ame. Saint Bernard dit que c'est la parole de la fervente indifference, qui n'a rien a faire que ce que Dieu veut et se sousmet a tout ce qu'il luy plaist. Au contraire, dit il, c'est une molle devotion que celle qu'il faut flatter, essayant ce qu'elle veut faire avant que luy dire ce que l'on veut qu'elle fasse. Apprenons a dire de cœur avec luy [saint Paul] : J'ay estimé toutes choses comme fange et ordure, affin de gaigner mon Jesus et ses bonnes graces. Que nostre vie, comme la sienne, soit cachee avec luy en Dieu ; je veux dire, avec Jesus Christ. Que les grandes et profondes maximes de verité et l'exercice de resignation facent nostre chemin pour honnorer et glorifier Dieu et luy plaire.

            Pour acquerir la sainte promptitude a bien faire, il la faut demander a Dieu et ne laisser passer aucun jour sans en prattiquer quelqu'action particuliere a cette intention ; car l'exercice sert merveilleusement pour se rendre un chemin aysé a toutes sortes d'operations. [156]

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MMLXXIV. Peut-on parvenir à la perfection en pratiquant une seule vertu ? — Qu'est-ce que la vertu ? — Dans la charité, toutes les vertus sont comprises. — Diviniser les vertus naturelles. — Comment on acquiert l'habitude de la vertu.

 

[1610-1613.]

 

            Si par la prattique d'une seule vertu l'on peut parvenir a la perfection ? — Il y en a certaines que l'on peut avoir en perfection sans estre parfait, parce qu'elles ne sont pas vertus essentielles : comme la virginité, l'aumosne et autres semblables. Mays quant aux vertus essentielles, qui en a une en perfection il les a toutes en quelque degré ; et cela se fait parce que la vertu n'est autre chose qu'une certaine moderation faite en la rayson, et non en la chose. Exemple de la vertu de temperance : quelqu'un boira quatre verres, un autre n'en boira que deux ; il [se] treuvera que le premier aura exercé la temperance, le dernier non, parce que sa necessité portoit de boire cela, et peut estre davantage, et l'autre se pouvoit contenter de demy verre. La rayson de cela, c'est que la vertu n'estant autre chose qu'une moderation faite en la rayson, fait que l'esprit habitué a une seule vertu se plie facilement a toutes rencontres de la prattique des autres vertus.

            La charité comprend toutes les vertus : ses actespropres regardent Dieu directement, pour s'unir a luy, s'abandonner, resigner et semblables ; les autres, elle les commande, comme la chasteté, l'humilité.

            Ah ! il faut diviniser les vertus que l'on a naturellement, les dressant toutes a Dieu, et toutes ses bonnes actions.

            Les habitudes des vertus ne s'acquierent que par des [157] actes multipliés et [ne] se peuvent conserver que par les mesmes actes, lesquelz venant a cesser, les vertus se perdent et se ruynent. Et d'autant que nous sommes tous-jours parmi les occasions d'exercer les vertus, si nous manquons a en faire la prattique, nous reculons ; si nous la faysons, nous avançons.

            Quand on fait bien son prouffit d'une inspiration que Nostre Seigneur donne, il en redonne une autre, et ainsy Nostre Seigneur continue ses graces a mesure que l'on en fait son prouffit.

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MMLXXV. Les « menues occurrences » et les « fascheux evenemens ». — Ardent souhait du Saint. — Pourquoi s'humilier. — « Affections » à tirer de la Passion. — Deux sortes de martyrs. — Porter sa croix comme Notre-Seigneur.

 

[1610-1613.]

a)

 

             Les menues occurrences donnent occasion aux plus utiles mortifications et resignations. Aux plus fascheux evenemens, il faut adorer profondement la divine Providence.

            Il faut, certes, ou mourir, ou aymer. Je voudrois qu'on m'arrachast le cœur ou que, s'il me demeure, ce ne soit plus que pour cet amour.

            Le plus ordinaire sejour de l'ame doit estre autour de la Croix, et le pain quotidien de la Religion, la meditation de la Passion !

 

b)

 

            Il faut a tout moment se retourner a Dieu, mesme parmi l'action. [158]

            La plus excellente intention de s'humilier est parce que Nostre Seigneur s'est humilié. L'un des hautz pointz de l'humilité, c'est de ne se point excuser.

            L'on peut tirer de la Passion de Nostre Seigneur ces quatre affections : la premiere, la crainte ; la deuxiesme, la contrition ; la troysiesme, l'esperance ; la quatriesme, l'amour.

            Il y a deux sortes de martyrs : les reelz et les spirituelz. Les spirituelz sont ceux qui sont resolus de plustost mourir, voire de souffrir tous les travaux du monde, que d'offenser Dieu. Et tous les chrestiens le doivent, car personne n'entrera au Royaume celeste qui n'ayt cette resolution.

            Portes doucement et tranquillement la croix que Nostre Seigneur luy mesme vous a imposee, ainsy qu'il est dit de ce divin Sauveur, comme un aigneau qui n'ouvre point sa bouche.

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MMLXXVI. La statue dans sa niche et le petit oiseau dans son nid. — Souffrir avec amour. — Une consolation et un vœu de François de Sales

 

[1611 ou 1612 .]

a)

 

            Aymes bien et entretenes bien le repos de l'esprit et du cors, comme une sainte statue dedans la niche ou son maistre l'a mise, comme un petit oyseau dans son nid, qui n'a ni forces ni jambes pour aller, ni plumes pour voler ; car vostre lict est un nid auquel Nostre Seigneur regardera vostre confiance. Et luy obeisses bien en toutes vos [159] necessités, car ce sont les messageres de la volonté de Dieu.

 

b)

 

            Que puissies-vous souffrir si amoureusement vos petites douleurs, que la douleur soit toute d'amour de la Croix de Celuy qui, par amour, eut tant de douleurs et par tant de douleurs tesmoigna tant d'amour. Faysons en sorte que par nos petites obeissances et souffrances nous soyons en quelque chose conformes a Nostre Seigneur.

 

c)

 

            Que j'ay de consolation en cette incomparable unité que la main de Dieu a faitte, et que nul autre ne pouvoit faire ! Playse a cette supresme Puissance nous en donner une eternelle jouissance.

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MMLXXVII. Ne pas vouloir sentir l'amour. — L'âme irrévocablement abandonnée à Dieu est sûre de l'avoir. — Un cœur « tout escorché » sera un « cœur compatissant ». — Indéfectible unité des deux Saints. — Prière pour leur « unique cœur »

 

[1612-1613.]

 

             Consacrons nos travaux a Jesus, attendons son retour en patience ; vivons a luy, pour luy, et non pour ses suavités. Nous n'avons rien que nous voulions reserver ni excepter en nos affections qui ne soit tout a Dieu. Que nous doit il chaloir si nous sentons ou ne sentons pas l'amour ? puisque nous ne sommes pas plus asseurés de l'avoir en le sentant qu'en ne le sentant pas, et que la plus grande asseurance consiste en cet entier, et pur, [160] et irrevocable abandonnement de nous mesme entre les bras de sa divine Majesté, sans reserve de consolation ou desolation, affin que, d'un cœur tout escorché, mort et maté, il reçoive l'odeur aggreable d'un saint holocauste, et affin que nos Seurs travaillees treuvent chez nous un cœur compatissant et un support suave et amoureux.

             Ne veuilles pas penser si vous aves des sentimens, ni pourquoy vous n'en aves point. Alles franchement et tout a la bonne foy avec Nostre Seigneur.

Ouy, ma chere Fille, il faut conserver l'asseurance que Dieu nous conservera et conduira, bien que les sentimens soyent passés ; mais une asseurance fort humble et sousmise. La grande, tres absolue et indubitable verité de nostre sainte, tres uniquement unique unité peut estre attaquee, mais non jamais esbranlee.

            O Dieu, qui estes la seule affection de toutes nos affections, tenes, voyla nostre unique cœur que nous vous donnons. Conserves, benisses et fortifies nos affections et ces resolutions inviolables, affin qu'a jamais, en cette unité tressainte en laquelle vous l'aves mis, il vous benisse eternellement.

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MMLXXVIII. Conduite à tenir dans les affaires affligeantes. — Chemins qui mènent au port et « bonnes estoffes pour l'avancement d'une ame ». — La consolation prépare aux grands travaux et à la croix

 

[1611-1614.]

a)

 

             La Providence de Dieu doit estre nostre unique recours en toute occasion ; puisque nous sommes siens, il nous rendra toutes choses bonnes et utiles. [161]

            Es affaires qui arrivent qui affligent le cœur, il faut discerner celles ou il y a du remede, et tascher de s'y comporter doucement, paysiblement ; celles ou il n'y en a point, il les faut supporter comme une mortification que Nostre Seigneur vous envoye pour vous exercer et rendre toute sienne, et tous-jours tenir vostre cœur en paix et douceur.

            Colloquons nostre bonheur en Jesus Christ crucifié, et passons en paix et patience le reste de ces espineux chemins par lesquelz nous allons au port.

            Il faut faire valoir nos peynes, nos travaux, nos ennuis et toutes nos afflictions pour la sainte dilection ; ce sont des bonnes estoffes pour l'avancement d'une ame au tres saint service de sa divine Majesté.

 

b)

 

             Je ne sçai si par ces consolations et ardeurs Nostre Seigneur veut disposer nostre cœur aux travaux du service du prochain et au service de l'accroissement de sa gloire, ou bien a la souffrance de quelque grande croix et tribulation que, comme j'espere avec sa grace, nous embrasserons courageusement, humblement et paysiblement, [et] tout ce que sa divine Providence nous presentera.

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MMLXXIX. Prix de la « resignation de soy mesme » acquise au milieu des contradictions. — Un grand bonheur

 

[1611-1614.]

 

             Ne faschés point ce pauvre cœur, mais aydes le doucement a tous-jours s'avancer a la sainte resignation de soy mesme. Une once de cette vertu acquise parmi les contradictions, reproches, piques, censures et reprimandes vaut mieux que dix livres acquises d'autre sorte. [162] Ah ! que nous sommes heureux d'avoir juré une eternelle fidelité a nostre cher Maistre ! Il ne faut sinon avoir patience en vivant vertueusement, car il nous arrivera asses d'occasions d'endurer.

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MMLXXX. Vouloir la croix, c'est la transformer

 

[1613-1614 .]

 

            La croix est de Dieu, mais elle est croix parce que nous ne nous joignons pas a elle ; car, quand on est fortement resolu de vouloir la croix que Dieu nous donne, ce n'est plus croix. Elle n'est croix que parce que nous ne la voulons pas ; et si elle est de Dieu, pourquoy donq ne la voulons nous pas ?

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MMLXXXI. Le « petit rien » devant la grandeur de Dieu. — Dans la tentation et la souffrance, regarder la Providence et aimer ses dispositions sur nous.

 

[1611-1615.]

 

            Alles souvent en esprit aux pieds de la grandeur divine et dites luy : O Seigneur, je ne vous offre qu'une pauvre chetifve vefve, une pauvre chetifve Religieuse, [163] toute chetifve et vile ; n'estes vous pas bien bon de regarder une si petite creature, ains un si petit rien comme je suis ?

            Quand nous sommes travaillés de tentations ou de choses penibles, quelles qu'elles puissent estre, il faut premierement regarder la Providence divine par l'ordre de laquelle nous sommes en ces combatz ; et, soit qu'ilz nous soyent envoyés pour nostre chastiment, soit qu'ilz nous soyent envoyés pour nostre exercice (ce qu'il ne faut jamais s'amuser a discerner), il faut aymer cette divine Providence, qui est tous-jours tres juste et tres sainte, nous complaysant en son bon playsir et nous conformant a tout ce que sa sagesse fait ou permet, pour penible qu'il soit.

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MMLXXXII. Imperfection de l'esprit délicat. — Aimer à se sentir pauvre et faible devant Dieu. — Comment se comporter dans les aridités et les chutes, et se « mettre en la sainte indifférence ». — Au lieu de réfléchir sur soi-même, regarder le Sauveur. — Dans quelles dispositions la Mère de Chantal doit aller à l'oraison et ce qu'elle doit y faire

 

[1611-1615.]

 

             Vostre esprit delicat ne peut rien garder ni souffrir sans le dire, et s'estonne tous-jours un petit au dernier estat et destroit. Oh ! demeurés pleine d'humilité, de simplicité, de courage et de joye cordiale devant Dieu, qui est le tres unique object de nostre amour et de nostre ame. Demeurés ainsy toute en Dieu, ou sensiblement, ou par la foy ; aymés vostre pauvreté, car il est escrit que les yeux du Seigneur regardent sur les pauvres et que ses oreilles escoutent leurs prieres.

            Il ne se faut point soucier de se sentir foible, sçachant que Dieu est fort et bon pour nous. Que nous perdions courage ? Au. contraire, ma Fille, j'ayme mieux estre [164] foible que fort devant Dieu ; car les infirmes il les porte entre ses bras, et les fortz il les mene par la main.

             Ne regardes point, ma chere Fille, si vous estes cause de vos aridités ; mays, soit que vous en soyes cause ou non, convertisses les a la gloire de Dieu, les luy offrant en sacrifice comme souffrances et penitences de vos pechés.

            Dans les mescontentemens que l'on a de soy quand on tombe en faute, au lieu de s'aigrir il faut prendre patience.

            Au manquement des satisfactions raysonnables que l'on desireroit, il faut tous-jours avoir patience, et neanmoins tascher d'allentir un peu les desirs, prenant les choses mesmes, pour bonnes qu'elles soyent, avec esprit d'indifference. En fin, il se faut souvent mettre en la sainte indifference et dire : Je ne veux ni cette vertu ni l'autre, je ne veux que l'amour de mon Dieu, le desir de son amour et l'accomplissement de sa volonté en moy.

            Il faut du tout quitter les reflexions, et n'en jamais faire en façon quelconque pour voir ce que l'ame fait ou ce qu'elle fera, si l'on fait bien ceci ou cela, ce que l'on deviendra, si l'on a des sentimens ou non, de la satisfaction, des vertus et semblables ; mais au lieu de tout cela, regarder au Sauveur amoureusement et humblement. Il faut bien faire ceci ; sur tout, aller a la sainte orayson avec grande douceur d'esprit et sans volonté d'y rien faire, mais simplement pour y recevoir ce que Nostre Seigneur vous y donnera. Contentes vous d'estre en sa presence, encor que vous ne le voyies ni senties, et que vous ne puissies vous le representer ; mais commences par un acte de foy et, de tems a autre, regardés si vous ne le verres point. [165]

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MMLXXXIII. La seule chose qui attire le cœur de François de Sales. — Pourquoi le dépouillement total. — Par la souffrance, l'âme parvient à une très simple et délicate union au bon plaisir de Dieu. — L'unique regard de la Mère de Chantal.

 

[1611-1615.]

a)

 

            Ah ! ma chere Fille, Dieu nous le donne, ce saint amour auquel nous aspirons ! Mais, aspirons y donq tout de bon. Certes, toutes choses flestrissent, ce me semble, devant nos yeux, et n'y a rien en terre qui nous puisse justement attirer que cet amour, unique et eternelle occupation de nostre cœur.

 

b)

 

            Nostre Seigneur vous veut despouiller de toutes choses, affin que luy seul vous soit toutes choses. Que de tresors dans cet abisme d'affliction spirituelle ! Nous pensons que tout soit perdu, et c'est ou nous treuvons la delicate, toute simple et pure union de nostre esprit avec ce divin bon playsir, sans meslange d'aucune lumiere, science, intelligence ni satisfaction. Hé, demeures la en paix, sans estendre la veuë ailleurs qu'en ce pur regard d'unité, sans vouloir voir ni sçavoir comme il se fait.

            Dieu soit beny ! Amen. [166]

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MMLXXXIV. Une partie de la charge d'une Supérieure. — Ce qui nous donnerait le bonheur. — La parfaite simplicité que Dieu demande de la Mère de Chantal et le plus agréable sacrifice qu'elle pourra lui faire

 

[1612-1615.]

 

             C'est une partie de la charge de la Superieure de voir avec repos les fautes de sa Mayson et de souffrir doucement les choses qui y arrivent.

            Oh ! que nous serions heureux si nous ne prenions point garde a ce que nous faysons ou souffrons, mais seulement que nous sommes accomplissant la volonté de Dieu, et que ce fust la tout nostre contentement !

            C'est une tres grande et parfaite simplicité de n'arrester volontairement son esprit qu'en Dieu seul. Nostre Seigneur vous veut en cette maniere de si parfaite simplicité, tres asseurement ; c'est ce que vous pouves faire de plus aggreable a sa Bonté. Demeurés la et n'en sortes donq jamais, sinon pour voir et faire ce qu'il commande pour son service ; puis, retirés vous incontinent en luy, en cette simplicité qui comprend tout. Vous ne sçauries faire un sacrifice plus aggreable [à Dieu], ni plus utile a vous, a cause de l'activité de vostre esprit. Par la fidelité a cet exercice, vous parviendres a la fin que vous pretendes. [167]

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MMLXXXV. La connaissance de la volonté divine doit être fidèlement gardée ; s'y conformer aussi bien dans les ténèbres que dans la lumière. — Manière de traiter avec le prochain et de tirer profit des contradictions. — Quel soin la Mère de Chantal doit laisser à son Directeur. — En toutes choses, l'acquiescement, l'abandon, la « simple remise » à Dieu. — Comment agir et parler

 

[1612-1616.]

a)

 

             Quand Nostre Seigneur nous a donné ses clartés et la connoissance de sa divine volonté une fois, il faut conserver cette connoissance et la memoyre en doit estre fidellement gardee, affin de demeurer en sa volonté et la suivre estant en secheresse comme durant ses visitations ; car Nostre Seigneur se contente bien souvent de nous monstrer une fois, ou plusieurs, ce qu'il veut que nous fassions, et l'ayant veu, il faut demeurer ferme la, comme ont fait tous les Saintz, auxquelz il n'a pas non plus continué tous-jours ses clartés.

 

b)

 

             Voyci que sa sainte volonté veut que nous soyons humble, douce, condescendante et simple comme une colombe, sans toutesfois exceder, ni faire des indiscrettes excuses ; et supportes le prochain avec grande douceur de cœur.

            Serves vous des contradictions journalieres pour vous mortifier, les acceptant avec amour et douceur.

 

c)

 

             Laysses moy le soin de la correction de vos defautz et de vostre avancement, et ne veuilles point vous tourmenter pour vouloir entendre, discerner, sentir et semblables. [168] Resignes tout cela a Dieu, demeurant en vostre abandonnement et remise de vous mesme a sa conduite. Laysses-le faire ce qui luy plaira, usant d'un simple et doux acquiescement ou acceptation de sa sainte volonté ; sur tout aux choses ou il n'est requis de mettre de l'ordre, ne les regardes jamais et ne permettes a vostre esprit d'en faire aucun discours. Uses d'acquiescement ; cela fait, retournes aux actes d'amour et a vostre simple remise et delaissement de toute chose a Dieu, vous divertissant, si la chose presse ; et alles simplement, confidemment, negligemment, a la bonne foy.

            Ouy, ma Fille, parles doucement, bassement ; faites que toutes vos actions et vos paroles se facent tranquillement, paysiblement, et non point brusquement ni activement. Il faut beaucoup dire en se taisant, par la modestie, tranquillité, esgalité et patience. Ne respondés pas promptement, ains tardifvement, doucement, humblement, sans toutesfois se relascher de la justice et rayson.

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MMLXXXVI. Pas de « tendreté », ni de souci du lendemain. — La volonté de la Mère de Chantal, abîmée en celle de Notre-Seigneur. — Au guide, le discernement ; à l'âme, l'aveugle abandon sous la conduite de la Providence, même dans les désolations intérieures. — Le repos en Dieu et l'obéissance

 

[1612-1616.]

 

             Je voudrois vous pouvoir arracher toute cette tendreté aux contradictions, tentations, privations de ce que l'on desire et, qu'avec un cœur genereux, vous surnageassies. La dessus, dire des paroles de fermeté, de mespris, de courage et de force avec la partie superieure, et ne s'arrester jamais a regarder rien de tout cela, mais [169] passer outre en vostre chemin, n'ayant nul soin du lendemain, car il n'en faut point avoir ; mais alles a la bonne foy, sous la providence de Dieu, ne vous souciant que du jour present, laissant vostre cœur a Nostre Seigneur, car vous le luy aves donné, sans jamais le vouloir reprendre pour aucune chose. Puisque vous aves abismé vostre volonté dans la sienne, que vous aves prise pour vostre, il ne faut plus rien vouloir, mais se laisser porter et emporter au gré de la divine volonté, dans les effectz de laquelle il faut demeurer doucement et tranquillement, sans se divertir pour chose quelconque, regardant perpetuellement en toutes occasions Nostre Seigneur. Ah, vive Dieu ! tout ce qui n'est pas Dieu ne m'est rien ; mon Dieu m'est tout en toutes choses.

             Il se faut contenter de sçavoir que l'on fait bien, par celuy qui gouverne, et n'en rechercher ni les sentimens ni les connoissances particulieres, mais marcher comme aveugle dans cette Providence et confiance en Dieu, mesme parmi les desolations, craintes, tenebres et toute autre sorte de croix, s'il plaist a Nostre Seigneur que nous le servions ainsy ; demeurant parfaitement abandonnee a sa conduite, sans aucune exception ni reserve quelconque, toute, toute, et le laisser faire ; jettant sur sa Bonté tout le soin du cors et de l'ame, demeurant ainsy toute resignee, remise et reposee en Dieu sous ma conduite, sans soin que d'obeir. C'est ce que nous avons promis. [170]

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MMLXXXVII. L'instrument entre les mains de Notre-Seigneur. — Rester dans l'état où Dieu nous met. — Que doit faire un « pauvre petit esprit ». — Abandon à la Providence. — Se moquer des tentations et parler à Notre-Seigneur d'autre chose. — Dans les peines intérieures qui font perdre pied, regarder notre « cher Capitaine » et employer deux sortes d'armes. — Tout le « faire » de la Mère de Chantal ; à quoi elle est obligée

 

[1612-1616.]

a)

 

             Il faut demeurer entre les mains de Nostre Seigneur comme un instrument inutile, toute abandonnee a son saint vouloir et Providence, et se contenter de demeurer ainsy doucement, sans vouloir le sentir ni en faire des actes, demeurant en la connoissance que Dieu luy monstre. En fin, il se faut tenir en l'estat ou Dieu nous met : en la souffrance, souffrir ; en la peyne, patienter ; et voyla la vertu en laquelle il faut demeurer tranquille, sans reflexions d'esprit pour regarder ce que souffre l'ame, ce qui luy donne peyne, ce qu'elle fait, ce qu'elle a fait, ou qu'elle fera. Et qu'elle demeure en cette simple veuë de Dieu et de son neant, patiente et souffrante ; car Dieu nous monstre qu'un pauvre petit esprit se doit de tout et en tout simplement retourner a luy. Il [ne] faut point laisser faire tant de choses a l'esprit ; il le faut retenir doucement, et l'accoyser en Dieu par un mouvement d'amour en la partie superieure, tant parmi les tentations, douleurs, afflictions, craintes, qu'en tous autres evenemens, quelz qu'ilz puissent estre.

            Laysses tout ce qui vous regarde generalement a la Providence de Dieu : qu'elle gouverne et dispose du cors, de l'esprit, de la vie, de l'ame et de tout selon sa tres [171] sainte volonté, sans penser, vouloir, discerner ou craindre chose quelconque. Vivés au jour la journee, et laysses le soin a Nostre Seigneur de tout le reste.

            Rejettes les tentations, craintes, prevoyances et semblables en se mocquant. Hé vrayement, je me soucie bien qu'elles arrivent ! — En toutes les tentations extravagantes, il faut plustost parler a Nostre Seigneur de toutes autres choses que d'elles, s'en destournant simplement par un retour amoureux du cœur envers son Sauveur. Et quand il arrivera quelques charges nouvelles, en quoy que ce soit, il les faut remettre entre les mains de Nostre Seigneur ; puis, demeurer en paix.

 

b)

 

             Quand l'on est parmi les afflictions interieures sans treuver ou mettre son pied pour treuver repos, alhors il faut, le mieux que l'on peut, regarder nostre cher Capitaine et seule esperance, le doux Jesus ; voir son abandonnement au combat de sa Passion et, a son imitation, batailler de deux sortes d'armes : l'une, de la patience et resignation en la volonté de Nostre Seigneur, s'offrant d'avaler ce calice et mettant, avec Job, vostre cordiale consolation a estre ainsy qu'il plaira a Dieu, parce qu'il le veut, et autant de tems qu'il le voudra, sans luy prefiger le terme ni conter les jours comme ceux de Bethulie, remettant le tout a sa Providence amoureuse. Puis, prenes les armes de l'orayson ; quand ce ne seroit que de bouche, dites avec David : Seigneur, je suis resolue d'observer vos commandemens, quelque contraste ou tentation qui se puisse opposer ; neanmoins, Seigneur, ne m'abandonnes pas du tout. Je ne me soucie pas que vous me delaissies quelque tems pour m'espreuver, pourveu que ce ne soit pas tant que je succombe. O Dieu, vous estes mon esperance ! Je suis toute foible, mais toute vostre, appuyee [sur vous] et attendant vostre secours, car vous estes proche de l'affligé. [172]

             Que vos paroles soyent succinctes, suaves, saintes et discrettes, prononcees a loysir.

            Tout vostre faire, c'est de souffrir et laisser faire Nostre Seigneur. Fiat voluntas tua ! et faut demeurer en cette simplicité si simple, sans se remuer.

            Vous estes obligee a une grande pureté, abaissement et sousmission. Il ne faut avoir soin d'aucune chose, puisque Nostre Seigneur en prend la charge, mais recevoir tout, simplement, comme de sa main ; je dis, sans exception.

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MMLXXXVIII. Où le cœur doit-il prendre son repos ? — Souhait d'un total dénuement

 

[1614-1616.]

a)

 

             Tenés vostre cœur en consolation, luy donnant le repos bienaymé qu'il a accoustumé de prendre dans le sein de son bon Maistre,

            Marchés en paix, sans permettre a vostre esprit de retourner sur soy mesme, sur tout quand les reflexions veulent l'embarrasser. Nos cœurs doivent avoir un entier repos en la volonté de Dieu, ou qu'elle nous porte.

 

b)

 

             Vives toute a Dieu en la tressainte nudité de toutes choses, et sur tout de vous mesme. Jesus vous tienne saintement esclave de sa sainte Croix et desnuee de tout ce qui n'est pas luy mesme. [173]

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MMLXXXIX. L'« amour royal » des Bienheureux. — Pourquoi le « Roy des coeurs » aima parfois les larmes

 

[Après le 21 mai 1616 .]

 

            La robe de laquelle on s'est despouillé ne nous doit pas mettre en sollicitude. Je n'ayme pas les tendretés, ains cet amour royal, pareil a celuy des Bienheureux qui ayment tant et ne pleurent jamais. Mays quelquefois, et pour un peu, ce Roy des cœurs laissa aller le sien jusques a l'amour des larmes, pour monstrer qu'il aymoit les nostres quand elles procedent selon l'ordre de la dilection.

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MMXC. Deux choses demandées à l'âme conduite par la voie de simplicité. — L'humilité exclut tout propre choix. — Comment s'acquiert l'amour. — La douceur dans le trouble et à l'égard du prochain. — Manière de faire la correction. — Ce qui est « tous-jours imperfection » et ce qui est « de grande perfection ». — Remède pour les distractions

 

[1615-1617.]

a)

 

             Il faut faire deux choses specialement : l'une, de s'oublier de toutes choses pour le continuel souvenir de [174] Dieu ; si que toutes les fois que vous vous treuveres hors de Dieu, il y faut ramener vostre esprit tout doucement, sans faire aucun acte. L'autre, qu'il faut tous-jours se desnuer et despouiller, et demeurer entre les mains de Dieu comme instrument inutile, le laissant operer en nous sans resistance, demeurant ainsy en cet abandonnement, et se contenter. Et faut tous-jours se tenir au dessus des tribulations et consolations, et estre fidele en ceci.

             Il faut tous-jours estre contente de ce que Nostre Seigneur voudra faire de nous, car cela est l'humilité, et non pas vouloir choysir. Puisque nous ne sommes plus a nous, mais a luy, laissons-nous conduire par ou il luy plaira.

 

b)

 

             Le prouffit de l'ame ne gist point a penser beaucoup a Dieu, mais a l'aymer du bon du cœur ; et cet amour s'acquiert en se determinant de faire et souffrir beaucoup pour Dieu. Quand une ame fait quelque chose fort contraire a ses inclinations et qu'elle le ressent beaucoup, venant a considerer que c'est le plus grand service de Nostre Seigneur, elle se doit hontoyer et ne plus faire cas de ce qu'elle souffre, mays l'endurer doucement ; car d'autant plus que l'on perd de sa consolation pour Nostre Seigneur, d'autant plus se doit on consoler de la perdre.

 

c)

 

             Celuy qui previendra son prochain es benedictions de douceur sera le plus parfait imitateur de Nostre Seigneur. — En tous les troubles, il faut essayer de s'accoyser en la presence de Dieu pour l'amour de sa dilection. Celuy qui est doux n'offence personne, supporte et endure volontier ceux qui luy font du mal, en fin souffre patiemment les coups et ne rend mal pour mal. [175] Le doux ne se trouble jamais, mais destrempe toutes ses paroles en l'humilité, vainquant le mal par le bien.

            Traittes avec une extreme douceur et charité avec le prochain et les Seurs, sur tout envers celles qui, par l'imperfection de leur esprit, defaut de graces naturelles ou mauvais offices, vous occasionneront quelqu'aversion ou degoust.

            Faites tous-jours vos corrections avec le cœur et les paroles douces, et reprenant les defautz, faites qu'en vostre cœur vous excusies la defaillante, amoindrissant la faute ; car ainsy les advertissemens font meilleure operation. En fin, il faut avoir la douceur jusques a l'extremité envers le prochain, jusques mesme a la niaiserie, et n'user jamais de revanche vers ceux qui font des mauvais offices. Croyés que si nous perdons quelque chose pour cela, Nostre Seigneur nous recompensera bien d'ailleurs.

            Quand l'on est contraint, pour quelque bien, deremonstrer le tort du prochain, il ne faut justement dire que ce qui est requis pour l'affaire presente, et taire le reste tant qu'il sera possible. Ne receves jamais aucun sentiment ni courroux de quelque chose que ce soit, ni sous quel pretexte et apparence de rayson que ce soit, car c'est tous-jours imperfection ; il est mieux de faire toutes choses qui se peuvent, et recevoir tout avec tranquillité et repos : cela est de grande perfection et edification.

            Il ne faut nul remede pour les distractions, que de ramener doucement le cœur a son object, quand l'on s'apperçoit qu'il en est diverti, disant des paroles d'amour et d'humilité a Nostre Seigneur. [176]

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MMXCI. La vraie pauvreté est celle que Notre-Seigneur et sa sainte Mère ont pratiquée. — Souhait d'un Fondateur

 

[1615-1620 .]

 

            Ne vous disois-je pas, ma chere Fille, que ce seroit une belle chose d'estre pauvre pour l'amour de Nostre Seigneur, pourveu qu'on n'en receust aucune incommodité et qu'on eust a souhait tout ce qui seroit requis pour toutes nos affaires, et encor pour nous faire estimer et estre plus honnorés du monde ? Certes, ma chere Fille, ce seroit une brave pauvreté, mais le mal seroit qu'on ne vous la laisseroit pas si elle estoit ainsy. Nostre Seigneur et Nostre Dame ont bien prattiqué une autre sorte de pauvreté : une pauvreté rejettee, mesprisee, vilipendee, incommodee. Encor qu'estant de la race de David et Salomon selon la chair, il est neanmoins extremement rejetté en la ville de David et gist en une souveraine pauvreté en la cresche, et sa Mere ne treuve pas seulement qui daigne le loger. Il le faut prattiquer et imiter, et, avec sainte Paule, preferer l'estable de Bethleem a toutes les richesses de Rome.

            Ma chere Fille, Dieu nous face bien aymer la sainte abjection et savourer les delices de la sacree pauvreté. Amen. Le doux Jesus soit a jamais en nos affections. [177]

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(MDCCXXIX). Danger de la science sans humilité

 

22 novembre 1620 .

 

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            Helas ! la beauté de l'esprit en ruyne souvent la bonté, tandis que ces papillons se mirent en le brillant de leurs folles et vaynes aisles et les veulent voir au feu qui les brusle. Oh ! que la science est dangereuse, pour grande qu'elle soit, quand elle opere sans charité et humilité ! Oh ! qu'elle est encor plus dangereuse quand elle est petite et arrogante ! Ce pauvre jeune homme, comme vous sçaves, a tous-jours eu un esprit trop hardi pour avoir tous-jours esté si peu armé.

            Or sus, Dieu tire sa gloire de l'ignominie de ceux qui l'abandonnent. …

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MMXCII. Règle touchant les avis spirituels. — La plus grande assurance qu'on peut avoir en cette vie. — Comment combattre les pensées de soupçon et de méfiance. — Ne vouloir que Dieu. — Le cœur en haut. — Conduite à tenir à l'égard d'une personne qui « moleste grandement »

 

[1615-1621.]

a)

 

             Il faut mettre l'attention a ce que l'on fait, et ne point bander l'esprit ; sur tout, point de reflexions. [178]

            Il faut recevoir de toutes mains les advis que Dieu nous donne ; faut seulement les faire examiner par celuy qui gouverne, et prattiquer fidellement ceux qui simplifient l'esprit. Celuy qui ne veut rien retenir pour soy est tout a Dieu.

             La plus grande asseurance que nous pouvons avoir en cette vie consiste en ce pur et irrevocable abandonnement de tout son estre entre les mains de Dieu et en l'absolue resolution de ne jamais vouloir, pour chose que ce soit, consentir a faire volontairement aucun peché grand ni petit ; car nous ne sommes pas plus asseurés quand nous sentons l'amour de Dieu que quand nous ne le sentons pas. En fin, la grande asseurance consiste en ce que dessus.

 

b)

 

             Il faut vivre tout a Dieu, par la volonté de nos Superieurs.

            Quand il arrive de ces soupçons, opinions, sentimens, mesfiances, desirs, assautz et semblables, il ne se faut nullement forcer de les surmonter par imagination ni autrement ; il ne s'y faut point amuser du tout, mais dire promptement : « Mon Dieu et mon tout ! » Vive Dieu ! VIVE JESUS !

            Il faut rejetter au loin toutes creatures en la presence de Dieu, ne voulant absolument que luy, car il ne faut point mesler les creatures avec le Createur ; la creature nous aymera autant que Dieu voudra, et nous ferons le mesme. En fin, il ne faut que Dieu seul et sa tressainte volonté, sans meslange aucun. A un autre tems, l'on fera l'acte de l'acquiescement.

            Il faut de plus en plus retirer tout nostre cœur en la divine Bonté, relever son cœur en haut vers son Dieu, pour l'aymer avec une tous-jours plus grande pureté, sincerité, innocence et vaillance spirituelle, et vivre toute douce, toute jointe au Sauveur. [179]

 

c)

 

             Quand l'on se sent saysi de douleur pour la charge de quelque personne qui moleste grandement, il faut soudain offrir a Dieu cette croix et l'accepter de tout son cœur, se sousmettant a la porter toute sa vie, si ainsy luy plaist ; puis, demeurer doucement contente dans sa souffrance et regarder cette personne avec honneur et respect, comme estant donnee de Dieu pour nous exercer en toutes vertus, considerant la grace de Dieu envers nous, qui nous fait tirer prouffit des fautes des autres. Que si cette personne revient a s'adoucir, o Dieu, il faut fondre sur elle en suavité, sans luy jamais parler du passé. Que s'il estoit a nostre pouvoir de nous faire quittes de cette croix, il ne le faudroit pas faire.

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MMXCIII. Joie qu'éprouve François de Sales à s'abandonner à la Providence. — Où tend son esprit et ce qui prédomine en son cœur

 

 

[1620-1622.]

a)

 

             O ma Mere, que c'est un grand contentement a nostre ame vrayement dediee a Dieu, de cheminer les yeux fermés, selon que la souveraine Providence la conduit de tems en tems ; car ses raysons et jugemens sont impenetrables, mais tous-jours doux, tous-jours suaves, tous-jours utiles a ceux qui se confient en luy. Que voulons nous, sinon ce que Dieu veut ? Laissons luy conduire nostre ame, qui est sa barque, il la fera surgir a bon port. [180]

 

b)

 

             Je sens mon esprit, ce me semble, plus tendant a la pureté du service de Dieu et a l'eternité que jamais.

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             Quelz sentimens relevés, ardens et pressans je ressens tous-jours pour ce divin amour ! Et c'est la verité que cet amour celeste et divin predomine tellement sur ce cœur, que, nonobstant ses miseres, il est tout dedié a la divine Majesté et ne regarde que sa gloire.

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MMXCIV. Se tenir dans l'indifférence, et pourquoi. — La famine à Annecy. — Confiance en Notre-Seigneur ; il prend soin de tout et il « est si proche »

 

[Annecy, fin août-octobre 1622 .]

 

            Il faut laisser plein pouvoir a Dieu de nous mener la part ou il voudra, et faut dire avec Isaïe : Envoyes-moy ou il vous plaira, Seigneur, car estant envoyee de vostre part, je suis bien asseuree qu'en quelle part que je sois vous m'ayderes a executer vos commandemens. [181]

            Je loue Dieu de ce qu'il nous envoye des tribulations qu'il sçait nous estre convenables, specialement quand je voy en ce lieu une telle necessité et famine, qu'on parle de pain sans le voir ni sçavoir que c'est. Nostre Seigneur aura soin de ce cors chetif et fragile, et le gouvernera tout ainsy qu'il luy plaira, tantost en l'affligeant de continuelles tribulations, tantost en luy administrant quelque rafraischissement et brief relasche.

            Nostre Seigneur est si proche qu'il ne se faut soucier de rien ; car j'espere en sa misericorde qu'il m'acheminera a ce qui luy sera plus aggreable, et fera sa volonté de moy.

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MMXCV. Zèle du Saint pour le service des âmes. — Ce que Dieu lui demande. — Sentiment de son impuissance. — Le « petit filet de bonne volonté » de François de Sales. — Aux prises avec la tentation, il redouble de confiance en Dieu. — Consolations et aspirations ardentes vers l'amour divin. — Une prière qu'il fait à la Sainte Vierge

 

a)

 

             Quantité d'ames recourent a moy pour sçavoir comme il faut servir Dieu ; secoures moy bien par vos prieres, car pour l'ardeur je l'ay plus grande que jamais ; mais, voyes vous, tant d'enfans se jettent entre mes bras et me succent les mammelles, que j'en perdrois la force si l'amour de Dieu ne me revigoroit.

 

b)

 

             Je les disois ce matin a Dieu, mais je n'ose plus les dire maintenant, parce que j'ay treuvé que je ne sçay que trop ce que Dieu veut que je face : il veut que je me [182] mortifie en toutes les puissances de mon ame et que je sois un vaysseau d'eslite pour porter son sacré Nom parmi le peuple. Mais, helas ! ce que je sçay qu'il veut que je face, je ne le sçay pas faire. Luy qui le sçait faire, le face donq en moy et par moy ; mays qu'il face tout pour luy, a qui je n'ay treuvé que je puisse contribuer autre chose que ce petit filet de bonne volonté que je sens au fin fond de mon miserable cœur. Cette bonne volonté vit en moy, mais je suis mort en elle, et n'en ressens qu'un lent et foible mouvement, par lequel je souspire presque imperceptiblement le mot sacré de nostre fidelité : VIVE JESUS ! VIVE JESUS !

 

c)

 

             Je suis fort pressé, et me semble que je n'ay nulle force pour resister et que je succomberois si l'occasion m'estoit presente ; mais, plus je me sens foible, plus ma confiance en Dieu est vive, et je m'asseure qu'en presence des objectz je serois revestu de la force et vertu de Dieu, et que je devorerois mes ennemis comme des aigneletz.

 

d)

 

             Ah ! il faut, meshuy, tout de bon transporter nos cœurs aupres de ce Roy immortel, et vivre tout uniquement pour luy.

            Si vous sçavies comme Dieu traitte mon cœur, vous en remercieries sa Bonté, et le supplieries qu'il me donnast le don de conseil et de force pour bien executer les inspirations de sapience et d'entendement qu'il me donne. Sur tout, j'ay mon cœur plein d'une infinie affection d'estre a jamais sacrifié au pur et saint amour de mon Sauveur… [183]

             C'est avec une nouvelle ardeur que je souspire apres l'amour divin, affin qu'il remplisse mon cœur et le face abonder en graces et benedictions du Saint Esprit.

 

e)

 

             Vous sçaves que nostre glorieuse Maistresse me donne tous-jours un ayde particulier quand je parle de sa divine Maternité. Je la supplie, cette sacree Dame, de mettre sa main dans le pretieux costé de son Filz pour y prendre ses plus cheres graces, affin de les nous donner avec abondance.

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MMXCVI. Pensée consolante sur la mort des amis. — Apprendre dès ici-bas le cantique du saint amour. — « Une planche pour passer a la vie celeste. » — Mourir à soi-même pour vivre à Dieu

 

a)

 

             Voyes vous, les passages de nos chers amis, ilz sont certes tres aymables, puisqu'ilz se font pour peupler le Ciel et aggrandir la gloire de nostre Roy. Un jour que Dieu sçait, nous irons vers eux ; et ce pendant, apprenons soigneusement le cantique du saint amour, affin que plus parfaitement nous le chantions en cette sacree eternité.

 

b)

 

             Oh ! que bienheureux sont ceux qui ne mettent point leur courage en une vie si trompeuse et incertaine comme est celle-ci, et n'en font conte que comme d'une planche [184] pour passer a la vie celeste ! C'est en cela qu'il nous faut loger nos esperances et pretentions.

 

c)

 

             Mourons a nous mesmes et a tout ce qui depend de nous mesmes. Il m'est advis que nous ne devons plus vivre qu'a Dieu ; mon cœur, mon courage fait une nouvelle saillie pour cela, et luy semble qu'il sera vray.

            Or sus, Nostre Seigneur est nostre Seigneur et tout nostre bien : qu'avons nous a faire d'autre chose ?

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MMXCVII. Deux « cheres vertus ». — En quoi consiste la vraie sainteté et quelle est la meilleure extase. — L'humilité, seul moyen pour arriver au sommet de la perfection ; quel cas Notre-Seigneur en fait. — Une sainte science. — Le trésor des âmes pures

 

a)

 

             Il faut bien tenir fermes en nous ces cheres vertus : la douceur envers le prochain et la tres aymable humilité envers Dieu.

            La vraye sainteté gist en la dilection de Dieu, et non pas a faire des niaiseries d'imaginations de ravissemens qui nourrissent l'amour propre, dissipent l'obeissance et l'humilité. Vouloir faire les extatiques, c'est un abus. Mais venons a l'exercice de la veritable douceur et sous-mission, au renoncement de soy mesme, a la souplesse de cœur, a l'amour de l'abjection, a la condescendance aux intentions d'autruy : c'est cela qui est la vraye et plus aymable extase des serviteurs de Dieu.

 

b)

 

             Jamais l'on ne parviendra a la hauteur de la perfection de l'amour de Dieu qu'on ne se soit profondement [185] abaissé par l'humilité. Nostre Seigneur fait si grand cas de l'humilité qu'il ne fait point de difficulté de permettre que nous tombions dans le peché, affin d'en tirer la sainte humilité.

 

c)

 

            Il faut faire ses actions par l'obligation que nous y avons, ou par un simple acquiescement au bon playsir de Dieu, et faire ceci autant dans l'orage que dans le calme.

             La vraye et sainte science, c'est de laisser faire et desfaire a Dieu, en soy et en toute chose, ce qui luy plaira, sans avoir d'autre vouloir ni eslection, reverant d'un profond silence ce que l'entendement de la foiblesse humaine ne peut comprendre, car ses desseins peuvent estre cachés, mais tous-jours justes. Le tresor des ames nettes ne consiste pas a avoir des biens et faveurs de Dieu, ains a le rendre content, ne voulant ni plus ni moins que ce qu'il donne.

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MMXCVIII. Regretter les fautes du prochain, mais avoir compassion du pécheur et de l'imparfait. — Comment nous traiter nous-même. — L'habitude des vertus. — Moyen de parvenir au repos d'esprit au milieu de toutes les vicissitudes

 

a)

 

             II faut beaucoup ressentir les fautes du prochain, mays il faut sçavoir en mesme tems que la charité s'exerce a les supporter et non pas a s'en estonner. Il faut le recommander a Nostre Seigneur, et tascher d'exercer la vertu contraire a la faute, avec grande perfection. Il faut, avec Nostre Seigneur, detester et haïr [186] le peché et estre marri des imperfections et defautz du prochain, mais il faut avoir compassion du pecheur et de l'imparfait, et le supporter et endurer, a l'imitation du Sauveur qui le souffre bien. Et il nous faut ainsy traitter nous mesme, de sorte qu'ayant reparé l'offense de Dieu, de laquelle il nous faut estre bien marris, il faut aymer et embrasser de bon cœur le mespris et l'abjection qui nous en revient.

             L'habitude des vertus s'acquiert par la rayson. Les vertus peuvent faire leurs actes par cette habitude, sans le congé de la rayson. Cassian dit que les hommes parfaitement vertueux ont une telle habitude de la vertu, que mesme en dormant ilz ne songent qu'a la vertu ; et saint Gregoire dit, parlant des miseres humaines : O heureuses miseres ! vous estes aymables parce que vous empesches mon cœur de s'affectionner aux choses de ce monde.

 

b)

 

             C'est le grand mot de nostre repos, de souvent prevoir l'empirement de nos affaires et travaux et nous y disposer, et quand les accidens arrivent, user de la domination que nostre volonté superieure a sur l'inferieure ; car d'empescher que cette partie inferieure ne gronde et chagrine, il n'est pas possible ; mais il la faut laisser faire, et mettre la superieure en son estre, acceptant de bon cœur ce que Dieu veut ou permet nous arriver, a la façon que Nostre Seigneur fit dans son agonie : Mon ame est triste jusqu'a la mort. Mays, o Seigneur, devons-nous dire, n'ayes point d'esgard aux inclinations et rebellions de cette partie inferieure, et ne laysses pas, de grace, d'exercer vostre volonté sur moy qui suis trop heureuse dequoy vous me visites et me despouilles de moy mesme pour me revestir de vous mesme. [187]

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MMXCIX. Jusqu'à la fin de notre vie, il faut toujours recommencer à s'anéantir. — Le gémissement de saint Paul. — S'humilier de ses faiblesses, mais « remonter son cœur en Dieu » par la confiance. — Une parole qu'il faut répéter souvent. — Indifférence pour l'affection des créatures ; quel amour doit nous suffire

 

             Il faut assujettir la nature a la grace, et ne s'estonner nullement pour les difficultés que l'on rencontre ; car tous-jours il faut faire estat de commencer a s'aneantir, perseverant en cet exercice jusqu'a l'extremité de nostre vie, a laquelle nous treuverons nostre besoigne faite, si nous perseverons, mays non pas plus tost ; car il faut coudre nostre perfection piece a piece, parce qu'il ne s'en treuve point de toute faite, sinon que, par une grace miraculeuse, Nostre Seigneur peut donner une habitude en un instant, comme il fit a saint Paul. Ce grand Saint, apres tant de ravissemens, ne laissoit souventesfois d'experimenter la misere de nostre nature, quand il s'escrioit : O moy miserable, qui me delivrera du cors de cette mort ? En fin, il ne se faut point estonner ni rendre lasche pour nos infirmités et instabilités ; mais, en s'humiliant doucement et tranquillement, il faut remonter son cœur en Dieu et poursuivre sa sainte entreprise, se confiant et appuyant en Nostre Seigneur, car il veut fournir tout ce qui est necessaire pour l'execution, ne nous demandant rien que nostre consentement et fidelité.

            Oh ! si nous pouvions une bonne fois nous determiner et dire absolument : Seigneur, que voules vous que je face ? que nous serions heureux ! Au moins, il le faut dire souvent.

            Le grand bien, nostre grand bonheur en la perfection seroit de n'avoir nul desir d'estre aymé des creatures. Que vous doit il importer si on vous ayme ou non ? Que [188] si vous rencontres des occasions qui vous font sembler qu'on ne vous ayme pas, il faut passer outre en vostre chemin, sans vous amuser a les considerer. Nous devons aymer et affectionner le prochain, et chacun en son rang, selon le desir de Nostre Seigneur, faysant tout ce qui nous est possible pour les contenter et leur prouffiter, car c'est le desir de Dieu. Que s'il plaist a Dieu que nous ayons l'amour de leurs cœurs, c'est une grande consolation et benediction de Dieu ; que s'il ne plaist pas a sa Bonté, nous nous devons contenter de l'amour du cœur de Nostre Seigneur, et c'est bien asses.

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MMC. Pureté d'intention des amantes de l'Epoux céleste.

 

            Oh ! que les vrayes amantes du celeste Amant sont sages et bien advisees ! Sçaves-vous ce qu'elles font ? Parfois elles se retournent sur elles mesmes pour considerer si leur atour spirituel est convenablement ageancé, si aucune perle de vertu ne leur manque et si tous leurs riches joyaux ont leur vif et naïf esclat ; mais, oh ! que cette reflexion est rectifiee ! oh ! qu'elle est simple ! oh ! qu'elle est pretieuse, puisqu'elle n'a autre mire que de satisfaire et d'aggreer au divin Espoux ! [189]

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Appendice

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A. Deux notes de saint François de Sales concernant sa correspondance et ses messages

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             [A la levee : que Mr Blondeau, etc.]

             [A M. Blondeau, avec le memoyre des trois cens escus pour l'eglise de Gex.]

            A Mme Brulart, avec le papier de la façon de dire le chapelet, et la relique.

            A Mme du Puis d'Orbe, avec l'ordre arresté pour son Monastere et advis pour se conduire en l'introduction d'iceluy, et le papier du chapelet.

            A Mle de Vilers. [191]

            A M. de Bourges, et de sa harangue.

            A Mle Jacot, et le papier du chapelet.

             [A M. Breton, Prævost de N. D. d'Aoustun.]

            A M. de la Curne.

            A Mle de Brechart.

            A Mme de Viteau.

            A Mme la B. de Ch., avec le papier du chapelet, et advis pour ses trois volontés.

            A M. de Vaucroissant.

 

            De saluer Mr le consr Blondeau et Mad. sa femme.

            Me Valon et Me Arviset.

            Mr le medecin Robin et Mle sa femme.

            Messieurs et Mesdles de Vilers.

            La fille de monsieur le premier Præsident, Carmelite, si ell'est a Dijon ou a Chalom.

            Le P. Recteur des Jesuites, si c'est le P. René ; le P. Gentil.

            Mr Robert.

            Le P. Prieur de St Bernard et le P. D. Jean de St Malachie.

            Mad. la baronne de Viteau.

            A Mr le tresorier des Barres et a Me sa femme.

 

Revu sur les Autographes conservés à la Visitation d'Annecy. [192]

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B. Lettre de M Antoine des Haves a M. Claude de Charmoisy

 

            Monsieur,

 

            La révérence en laquelle notre cher et précieux ami est tenu par deça sera cause que l'on ne pourra rien résoudre de ce qui lui a été ci-devant écrit, parce qu'en toutes affaires, comme vous savez, il y a des circonstances et petites difficultés par dessus lesquelles il convient passer, et principalement en l'établissement que l'on desire faire, pour être nouveau. De sorte que la considération grande en laquelle il est tenu, pour sa qualité et pour son mérite particulier, retient chacun, ne pouvant personne se résoudre sans lui, tant aux choses qui sont de son particulier, qu'en l'honneur et révérence que chacun lui veut porter, qu'aux choses générales qui regardent l'établissement de la chose. Ce que je vous dis par expérience ; car m'étant trouvé avec monsieur de Bérulle seul, il a proposé beaucoup de petites choses qui seront négligées par notre ami parce qu'ils (sic) regardent son honneur particulier ; mais il y en a d'autres très importantes où il faut son jugement et qui ne se peuvent écrire : c'est pourquoi je conclus que, sans sa personne, rien ne se fera. Le remède à cela serait qu'il acceptât de prêcher les Avents ou le Carême en cette ville (je l'en ferais bien convier, et même par Sa Majesté s'il en était besoin), ou que les affaires qu'il a autrefois eues lui permissent de faire un voyage ici, où, en quinze jours de présence, nous ferions plus d'affaires qu'en un an d'absence.

            Si vous le pouviez résoudre à cela, je lui ferais trouver un carrosse à Brierre et le logerais en cette petite maison, comme je lui ai ci-devant offert. Maintenant qu'il a plu à Dieu retirer à lui Madame sa mère, il sera plus libre et pourra plus aisément prendre cette résolution, dont je ne lui écrirai point que je n'aie de ses [193] nouvelles et que vous ne me mandiez qu'il y soit disposé. M. de Bérulle ne trouve pas bon que l'on parle encore au Roi de la proposition, parce qu'elle s'éventerait et serait traversée par plusieurs.

            Voilà ce que je vous puis mander de ce particulier, approuvant la pensée que vous avez autrefois eue, d'autant plus que l'indisposition du personnage s'augmente tous les jours, bien que lentement.

……………………………………………………………………………………………………..

            A Paris, ce 19 avril 1610.

Votre plus humble et très-affectionné serviteur,

A. DESHAYES.

 

            A Monsieur,

Monsieur de Charmoisy,

            à Annecy.

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C. Une lettre de saint François de Sales d'après l’édition princeps

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A UNE SUPERIEURE DE LA VISITATION

 

Zele de l'Autheur pour la gloire de Dieu, et mespris dit monde.

 

            O ma Mere, soit que la Providence de Dieu me face changer de sejour, soit qu'elle me laisse icy (car cela m'est tout un) n'auray-je pas mieux, de n'avoir pas tant de charge, à fin que je puisse un peu respirer en la Croix de nostre Seigneur, et escrire quelque chose à sa gloire ? Cependant nous escouterons, ce que Dieu ordonnera, à la plus grande gloire duquel je veux tout reduire, et sans laquelle je ne veux rien faire, moyennant sa grace : car vous sçavez, ma [194] tres-chere Mere, quelle fidelité nostre cœur luy a voué. C'est pourquoy sans reserve je la veux laisser regenter au dessus de mes affections, és occasions, où je verray, ce qu'elle requiert de moy. Certes je me taste partout, pour voir, si la vieillesse me porte point à l'humeur avare ; et je treuve au contraire, qu'elle m'affranchit de soucy, et me fait negliger de tout mon cœur et de toute mon ame toute chicheté, prevoyance mondaine, et desfiance d'avoir besoing ; et plus je vay avant, plus je treuve le monde haïssable, et les prétentions des mondains vaines ; et ce qui est encor pis, plus injustes. Je ne puis rien dire de mon ame, sinon qu'elle sent de plus en plus le desir tres-ardent, de n'estimer rien, que la dilection de nostre Seigneur crucifié ; et que je me sens tellement invincible aux evenemens de ce monde, que rien ne me touche presque. O ma Mere, Dieu comble de benedictions vostre cœur, que je cheris comme mon cœur propre. Je suis sans fin vostre en celuy, qui sera par sa misericorde, s'il luy plaist, sans fin tout nostre.

FRANÇOIS, E. de Geneve.

            Le 26. Fevrier, 1620. [195]

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